ALLÉGEMENT DE LA DETTE DES PAYS PAUVRES : Le regard critique de l’économiste Fadonougbo Boko .« Annuler la dette c’est nous rendre plus esclave », pense le chercheur

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Les pays africains notamment très endettés font souvent recours aux prêts pour financer leurs programmes d’action en l’occurrence la construction des voies, des hôpitaux, des écoles et autres infrastructures socio-économiques. Ainsi, ces pays sous développés sont parfois dans l’incapacité de rembourser leurs dettes auprès des institutions bancaires ou bailleurs. Une situation qui a poussé les organismes multilatéraux de financement notamment le Fonds Monétaire International (Fmi) et la Banque mondiale à créer le concept de l’allègement de la dette. Pour en savoir davantage sur le processus qui conduit à ce système d’allègement de dette, votre quotidien est allé à la rencontre de l’économiste Fadonougbo Boko, enseignant-chercheur à l’Université de Parakou. Le spécialiste des questions macroéconomiques, a jeté un regard critique sur cette disposition. Lisez plutôt.

Wilfried AGNINNIN

Daabaaru: En économie, qu’est-ce qu’un allègement de dette ?

Fadonougbo Boko: L’allègement de la dette consiste d’une manière ou d’une autre, à soulager l’emprunteur c’est-à-dire le pays qui s’est endetté qui doit rembourser, on le soulage soit en diminuant l’intérêt, soit en diminuant les charges sur la dette, ou parfois ça peut ne pas concerner les montants mais ce sont des modalités. On peut rééchelonner la dette, on peut repousser à une date ultérieure le paiement qui est proche. Ce sont souvent une combinaison de mesures qui constitue l’allègement de la dette, qui en un mot consiste à soulager un peu, à ne pas trop alourdir les charges de la dette sur le pays emprunteur.

Quand est-ce qu’on peut parler de l’allègement de la dette ?

Dans le contexte présent, il faut dire que l’allègement de la dette est quelque chose qui est apparu principalement avec le Fonds Monétaire International (Fmi) et la Banque mondiale. Cela est survenu en 1982 lorsque le président mexicain déclarait que le Mexique est incapable de rembourser ses dettes. C’était une mesure courageuse, mais dans le même temps ça été une inquiétude pour les pays créanciers. Toute suite les créanciers eux-mêmes ont couru vers lui, pour dire bon on peut revoir les services de la dette c’est-à-dire les intérêts de capital qui sont lourds pour toi, au lieu que vous payez maintenant on peut allonger ça encore dans le temps, il y a aussi une partie qu’on peut laisser. Ça été en ce temps l’initiative pour les autres pays, parce que les occidentaux craignaient qu’en ce moment là d’autres pays en développement notamment les pays africains pourraient commencer à faire les mêmes choses. Pour éviter ça, ils ont commencé par emballer l’ensemble de ces pays-là pour parler de l’allègement de la dette. Qui depuis lors est devenu des mesures que le Fmi et la banque mondiale prennent en faveur des pays pauvres. Il y avait ce qu’on appelle les Pays Pauvres Très Endettés (Ppte).

Quels sont les pays qui peuvent en bénéficier ?

Ce que je viens de dire tout à l’heure dans les 80-90 on a parlé de l’initiative des Pays Pauvres Très Endettés (Ppte), ça veut dire que ça concerne les pays pauvres c’est-à-dire les pays sous développés, ces pays sont obligés de faire recours pour le financement des dépenses de fonctionnement, d’investissement, de lutte contre la pauvreté et de la construction des infructueuses aux ressources de ces institutions. Il s’agit de l’ensemble de ces pays-là qui couvrent en grande majorité les pays africains, certains pays du pacifique, de l’Amérique du Sud et quelques pays de l’Asie.

Dites-nous monsieur, quelles sont les conditions à remplir et les types d’allègement de la dette ?

Les conditions vont varier d’un moment à un autre. Les conditions d’allègement de la dette en 1982 n’ont pas été les mêmes que celles dont on a parlé en initiative Ppte. Il faut noter qu’il y a des moments où ces conditions-là changent surtout avec le Fmi et la Banque Mondiale. C’est l’ensemble des créanciers qui décident des conditions d’allégement de la dette. Par exemple pour l’initiative Ppte, ils sont partis du niveau de revenu et du niveau de la dette comme tous les pays n’ont pas les mêmes niveaux de dette.

Dites-nous, comment se fait le prêt ?

Déjà lorsque vous demandez de prêt les conditions de remboursement sont prises. En général pour les pays, le Fmi reste dedans en se disant, il ne faut pas que j’emprunte à un pays aujourd’hui et que demain il soit dans une situation d’impayé… Un pays ne tombera pas en impayé, mais les charges du service de la dette peuvent être assez lourdes pour le pays, ce qui fera qu’il aura de la difficulté à payer. C’est pour ça que le Fmi prend des dispositions avant de vous faire un prêt. Déjà on vous voit, on jette un regard sur vos prêts en cours, l’ensemble des charges des dettes à payer, est-ce que d’ici à telle date, vous pouvez être encore capable d’augmenter le service sans que cela ne pèse sur les revenus du pays. Il y a ce regard là. Et lorsque l’ensemble de ces conditions sont remplies, le Fmi regarde de façon générale la dette que nous voulons contracter doit être une dette dont le remboursement est à long terme en général au moins 15 ans. Le taux d’intérêt doit être un taux d’intérêt plus ou moins élevé. En général pour les pays pauvres ce n’est pas un taux d’intérêt sur le marché, mais un taux assez favorable. Dernière condition de facilité, on peut dire vous avez des ressources de prêt cette année, mais le remboursement va commencer dans 4 ans, 5 ans ou dans 10 ans ça dépend d’une condition à une autre ou d’un partenaire à un autre pour définir ce qu’on retient quant au remboursement de la dette, tandis que le remboursement comprend les intérêts et les capitales.

Quels sont les organismes multilatéraux qui octroient ces allègements ?

Il y a des prêts multilatéraux, mais essentiellement la plupart sont des prêts des organismes multilatéraux dont principalement le groupe de la Banque Mondiale qui fait des prêts structurels et le Fonds Monétaire International (Fmi) qui intervient pour le problème de trésorerie et monétaire. Il faut noter que les prêts du Fmi sont des prêts relativement je dirai court, alors que Banque Mondiale sont des prêts de structuration des dettes qui peuvent aller de 15 à 20 ans ou plus.

Pourquoi c’est seulement aux pays pauvres qu’on allège de dettes tandis qu’il y a des pays riches qui continuent de traîner leurs dettes?

Cette question mérite l’éclaircissement de la nature des dettes des pays. Sous certains cieux vous allez entendre dire que les États-Unis d’Amérique constituent les pays les plus endettés au monde. Oui c’est vrai, mais sous l’angle dont on est en train de parler, cette dette des Usa n’est pas de même nature que celles de nos pays. Par exemple, lorsque le Bénin veut s’endetter, il s’endette pour construire les routes, les hôpitaux, les écoles et autres infrastructures. Mais la dette par exemple des États-Unis, n’est pas une dette de cette nature, ce n’est pas que les États-Unis sont allés auprès d’une institution ou d’un pays pour dire passer nous de l’argent pour construire nos écoles, nos hôpitaux non il ne s’agit pas de ça, il s’agit plutôt du fait par exemple de donner de la monnaie américaine, mais cette monnaie américaine est bien utilisée en dehors des Usa. Et à tout moment ceux qui détiennent cette monnaie sont en mesure de demander aux États-Unis, aujourd’hui j’ai de dollar je veux convertir ça en Euro vous imaginez les États-Unis ne fabriquent pas l’Euro ils n’ont que la monnaie américaine, du coup les États-Unis sont obligés de dépenser quelque chose pour avoir l’Euro avant de rembourser ceux qui détiennent leurs monnaies, parce qu’ils ont l’obligation de prendre leurs monnaies. Le jour où ils refusent ça veut dire que la monnaie est tombée (…). La dette des États-Unis est une dette assez colossale.
(….) C’est vrai qu’on peut se dire qu’on n’a pas assez de ressources il faut prêter, mais il a quand même un aspect qui est plus gênant dedans des deux côtés bien sûr, un pays qui commence par faire de prêt, il a fait de prêt, il a remboursé, avant de rembourser il a fait encore de prêt depuis 40, 50, 80 ans ce pays est en train de faire de prêt, il ne finit jamais. La question c’est de savoir en fait quel est l’objectif des prêts ? Est-ce qu’on veut prêter parce qu’on peut prêter ? Ou bien on prête pour quelque chose? Pour qu’à un moment donné ce pourquoi on prête prenne fin. On ne voit pas la fin du tunnel de l’endettement. La plupart des pays africains pauvres ne font pas cette réflexion, en se demandant quand est-ce que nous allons cesser de nous endetter (…).

En Afrique certaines voix s’élèvent pour décrier cette faveur, pourquoi ?

Vous aidez quelqu’un, tous les jours vous m’aidez mais il n’a jamais changé. Moralement vous qui aidez si réellement votre objectif est d’aider vous devez vous poser de question. Si vous ne vous posez pas de question, ça veut dire que vous avez un autre objectif autre que d’aider. Et c’est ça la question qui se pose. Annuler la dette c’est nous rendre plus esclave… On l’allège pour nous permettre de recommencer encore.
(…) L’annulation de la dette se passe sous plusieurs formes. Vous devez 10 millions, on dit j’annule 4 millions, ça veut dire qu’il reste 6 millions à rembourser en réalité. Mais dans le temps, le cas du Fmi on dit non, vous avez 10 millions on va annuler 4 millions et de la manière suivante : vous ne cessez pas de rembourser, mais les 4 millions chaque fois que vous remboursez les 4 millions, on investit ça dans votre pays. L’annulation ne va pas faire cesser le paiement, l’annulation consistera à dire ce que vous rembourser on va réinvestir ça dans votre pays. En général que ce soit l’allègement de la dette ou l’annulation de la dette, las partenaires créent des conditions pour vous amener à payer vos dettes.
Il faut qu’au niveau des africains qu’il ait une autodétermination. Et la plupart du temps nous mettons tout sur les gouvernements. Les gouvernants n’ont pas bien gouverné, mais attention ce n’est pas évident ce qu’on demande aux gouvernants. Tout le monde est d’accord que c’est mauvais, mais on ne va jamais ensemble pour dire non à ça.

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Daabaaru