La 6ème mandature de la cours constitutionnelle a bouclé ses trois ans d’exercice à la tête de l’Institution. Depuis sa prise de fonction le 06 juin 2018, les actions de l’équipe du président Joseph Djogbénou ont été passées au peigne fin ce mardi 08 juin 2021 par le Secrétaire général de la Haute juridiction Gilles Ballet. A cette occasion, il a exposé les réformes opérées par l’équipe du professeur Joseph Djogbénou, ainsi que les nouvelles options de l’institution. Lire des extraits de son intervention avec nos confrères de la chaîne de télévision E-télé.
E-Télé : Installée le 06 juin 2018 par le chef de l’Etat, la 6ème mandature de la Cour constitutionnelle, vient de boucler 3 ans. Le premier acte qu’elle a posé a été la modification du règlement intérieur. Pourquoi cet empressement ?
Gilles Badet : On peut estimer que c’est un empressement si on ne sait pas que c’est une réflexion qui date de plusieurs années et faite par des personnes qui ont eu à traiter avec la Cour constitutionnelle et qui ont remarqué qu’on pouvait améliorer un certain nombre de choses. Lorsque vous prenez le principe du contradictoire, c’est un principe fondamental de tout procès. Il voudrait que, lorsque quelqu’un se plaint par une requête, on donne la parole à la partie qui est incriminée pour qu’elle puisse s’expliquer. Cela peut être une autorité ou une personne physique. La Cour constitutionnelle, par le passé, se contentait de prendre ces deux points de vue avant de rendre sa décision. Parfois, quand la décision est prise, certaines parties qui ont perdu se disent, peut-être que si j’avais eu l’occasion de discuter du point de vue de l’autre partie, j’aurais pu éclairer la cour sur tel ou tel point. Aujourd’hui, avec la création de deux chambres de mise en état qui sont des chambres qui instruisent le dossier avant qu’il ne vienne en plénière, il y a la possibilité pour les parties, lorsqu’elles ont émis un point de vue, de discuter du point de vue émis par l’autre. Donc, le principe du contradictoire a été renforcé, puisque donnant l’occasion de s’exprimer devant des sections réduites de la cour et de faire en sorte que les débats s’approfondissent. C’est quand les débats sont mûrs qu’on peut aller en audience plénière pour rendre la décision. Et tout cela se fait devant le public. Donc, on a amélioré le contradictoire, la transparence et cela a occasionné l’efficacité de la Haute juridiction. Vous allez voir que les chiffres ont explosé. On est passé de 256 décisions en 2018 à plus de 500 décisions en 2019. Puis, à plus de 700 décisions en 2020 et à un total de pratiquement 1700 décisions rendues par cette 6ème mandature, parce que les recours sur les droits fondamentaux, les libertés individuelles sont à foison aujourd’hui. Et la 6ème mandature essaie de donner à la Cour constitutionnelle son autre volet de protection des droits fondamentaux, et non pas seulement la Cour de régulation du fonctionnement des institutions auquel nous étions habitués par le passé.
Est-ce à dire que la Cour n’est pas gênée des nombreux recours formulés devant elle ?
Non ! Les droits fondamentaux formulés dans la Constitution sont des droits des individus. Ces personnes doivent avoir leurs droits protégés. Elles peuvent les revendiquer à l’égard des uns et des autres, à l’égard des autorités politiques, des autorités administratives, judiciaires et policières. C’est donc un plaisir pour la cour de constater que les arrestations arbitraires ne se poursuivent. C’est aussi un plaisir pour la Cour de constater que les discriminations qui sont faites à l’égard des femmes, de certains fonctionnaires, à l’égard des personnes vulnérables, sont sanctionnées. C’est un plaisir de rendre service à ces citoyens et de faire en sorte que les droits qui sont contenus dans la Constitution ne soient pas lettre morte. Donc, ce sont des citoyens qui retrouvent la Constitution, et la Cour constitutionnelle qui retrouve son rôle de garant des droits fondamentaux et des libertés publiques.
En 3 ans de gestion, vous avez rendu 1700 décisions. Mais, quel bilan fondamentalement peut-on faire avec du recul ?
Au Bénin, pendant longtemps, on était dans la joie de retrouver la démocratie. On a cru qu’une Cour constitutionnelle qui travaille bien, il faudrait qu’elle condamne le gouvernement, les institutions de la République. C’est à tort. Combien de fois le Conseil constitutionnel condamne le gouvernement français ? Combien de fois la Cour suprême condamne le gouvernement américain ? En réalité, lorsque nous faisons l’apprentissage et que nous venons à un niveau de maîtrise du bon fonctionnement de collaboration entre les institutions, c’est clair que le règlement des contentieux relatifs au fonctionnement des institutions devient de moins en moins important. De fait, nous devons passer à une sorte de maturation du processus démocratique. Par rapport aux droits fondamentaux, je vous assure que nous recevons les recours avec plaisir. Vous savez, au Bénin, nous souffrons d’un problème récurrent qu’est la détention provisoire. Il y a plus de gens en prison qui n’ont pas été jugés que de gens qui ont été jugés. Parfois, certains oublient ces personnes-là. Aujourd’hui, quand les délais de détention se rallongent, quand il y a des arrestations arbitraires ou quand il y a des expropriations discriminatoires et que les gens saisissent la Cour constitutionnelle, avec cette confiance renouvelée, elle donne satisfaction. Je pense qu’on peut être heureux de travailler dans une institution qui renaît qui remet les choses en place et qui rétablit les citoyens dans leurs droits.
On a quand même constaté qu’il y a eu des décisions qui étaient rendues avant la 6ème mandature de la Cour constitutionnelle. Ces décisions ont ensuite été remises en cause.
Pourquoi cela ?
Toute société évolue. Quand vous regardez la jurisprudence dans les grandes démocraties, vous allez constater qu’elle évolue, parce que la société évolue. Qui pouvait imaginer qu’aujourd’hui en France il y aura le mariage entre homosexuels ? Aux Etats-Unis, vous allez remarquer que la peine de mort est valable dans certains Etats et ne l’est pas dans d’autres. Au Bénin, ce qui a le plus fait du bruit, c’est par rapport au droit de grève. Nous estimons que nous sommes un pays sous-développé qui a besoin de travailler, qui a besoin que toutes ses forces soient mobilisées autour du travail pour que le développement soit une réalité. Est-ce qu’on peut se permettre dans un tel pays de faire de la grève le principe ? On ne peut pas et c’est pour cette raison que sans abolir le droit de grève, il a été dit, pour que l’espace de la société soit debout, il faut que l’Etat lui-même soit debout. Si la santé permet à l’individu d’être debout, les ressources financières et la sécurité permettent à l’Etat de rester aussi debout, on dit qu’on ne peut pas arrêter la santé, la sécurité, la protection de notre Etat. C’est pour cela que le droit de grève a été retiré aux militaires, paramilitaires, aux agents de santé pour que l’on soit debout et que l’Etat soit debout afin qu’on puisse jouir de tous les autres droits. Vous voyez que le droit de grève n’a pas été retiré à tout le monde. Les autres peuvent jouir du droit de grève dans une certaine forme d’aménagement, parce que la devise du Bénin, ce n’est quand même pas « Fraternité-justice-grève ». C’est plutôt « Fraternité-justice-travail ».
Doit-on dire que la 6ème mandature de la Cour constitutionnelle est une mandature de développement ?
Oui ! Vous savez ce qui se fait doit relier les uns aux autres. La Constitution, dans son préambule, stipule que l’épanouissement des droits fondamentaux, c’est pour tout être, pour tout béninois. L’épanouissement tant matériel que spirituel. Et lorsqu’on dit les droits fondamentaux, il y a les droits économiques et sociaux qui sont des droits liés au développement. Le droit au développement, c’est dans la Constitution du Bénin. Ce n’est pas une invention. Ce sont des besoins fondamentaux, et la Charte africaine des droits des peuples qui fait partie intégrante de notre Constitution donne priorité au développement. Ce n’est pas seulement le gouvernement. C’est surtout le gardien de la Constitution que nous sommes qui, en lisant la Constitution, voit la place importante qui a été accordée au développement et du bien-être de chaque citoyen.
Parfois, on a l’impression que la Cour aime qu’on la juge, parce que nous avons vu des activités et des revues scientifiques. Est-ce vrai ?
Absolument ! Tout ce qu’on fait, peut-être qu’on y croit, mais il faut avoir un peu d’humilité. Cela ne veut pas dire que ceux qui nous ont précédés étaient de mauvaise foi. C’est juste parce que les choses ont évolué. C’est pour cela que ce que nous faisons aujourd’hui, il faudrait qu’on accepte un regard critique. C’est pour cela que la Cour constitutionnelle développe assez d’activités scientifiques, rupture ou continuité, à travers des colloques, à travers une revue (la revue Rcc) dans laquelle les gens envoient un peu partout des contributions. Des Camerounais, des Ivoiriens, des Sénégalais, des Béninois, des Français envoient des contributions pour donner leurs points de vue et éclairent la Cour constitutionnelle sur ce qui se passe ailleurs. Est-ce que nous sommes sur la bonne voie ? Est-ce que nous respectons les standards internationaux ? Quelles sont les limites de notre décision pour nous permettre de nous améliorer, car chaque jour il faut se remettre en cause. Nous avons un site internet « cour constitutionnelle.bj » sur lequel vous avez l’ensemble des publications de la Cour. Nous tenons à faire des rencontres thématiques, à faire des colloques. Nous essayons de partager nos expériences quand on nous invite ailleurs pour savoir si nous sommes sur la bonne voie, ou le cas contraire de revoir la copie si les arguments des uns et des autres sont pertinents, s’ils sont posés dans un esprit d’avancement.
La Cour constitutionnelle profite-t-elle au citoyen lambda ?
C’est pour le citoyen lambda que le règlement intérieur a été modifié pour lui dire : tu peux faire un recours contre le gouvernement, le Parlement, tel ou tel ministre, tel préfet ou maire. Quand tu as un problème, tu amènes cela. Le maire va envoyer quelqu’un. Si la personne veut mentir sur ton compte, tu as la possibilité de réagir. Si vous avez besoin de retourner à la maison et d’apporter d’autres arguments, on va vous autoriser. Si vous avez envie d’amener des témoins, on va vous écouter. A la fin, on peut vous donner raison. Parfois, avant même que la procédure ne se termine, il y a une sorte de mea culpa de l’administration qui reconnaît qu’elle s’est trompée. La Cour constitutionnelle permet aux gens qui écrivent en braille d’avoir la possibilité de participer aux concours de la fonction publique. Les dames de l’Armée qui sont radiées, parce qu’elles sont tombées enceinte avant les 5 ans qui sont prévues dans les anciens textes rétrogrades qui violent les droits fondamentaux des femmes, la Cour les a rétablies dans leurs droits. Venez à la Cour constitutionnelle les mardis quand il y a les audiences de mise en état ou les jeudis quand il y a les audiences plénières, et vous verrez que c’est la Cour de tout le monde.