BÉNIN/DANS UNE INTERVIEW EXCLUSIVE SUR LE PROJET FC-SSA  :  Prof Nourou Soulemane Yorou appelle les décideurs pour des actions en faveur des champignons  . La stabilité des écosystèmes forestiers préoccupe 

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Les champignons constituent un maillon indispensable pour la stabilité des écosystèmes forestiers et sont d’une grande importance pour le bien-être de l’homme. Malheureusement, ils ne sont pas conservés et protégés. C’est dans cette logique que le projet Fc-Ssa est pensé et vise à fournir des données sur les champignons et des orientations politiques nécessaires pour leur intégration aux stratégies de conservation dictée par la Cdb, à sensibiliser sur la conservation des champignons et leur habitats dans toute l’Afrique subsaharienne. Il intervient à Birni, Perma et Koutoupounga au Nord-Bénin ainsi qu’au Zimbabwé. Dans une Interview exclusive sur ce projet,e Professeur Nourou Soulemane Yorou, mycologue agronome forestier, enseignant-chercheur, Professeur titulaire de mycologie tropicale à la Faculté d’Agronomie, de l’Université de Parakou a démontré pourquoi il est nécessaire de conserver les champignons. Il n’a pas manqué d’appeler les décideurs politiques à intégrer explicitement les champignons dans les plans de gestion et de protection environnementale. Lisez plutôt. 

 Wilfried AGNINNIN

Daabaaru: Parlez-nous du Projet Fc-Ssa (Bref contexte, objectifs et résultats attendus)

Professeur Nourou Soulemane Yorou: Le projet Fc-Ssa s’inscrit dans le cadre de la prise de conscience globale sur la perte de la biodiversité et le défi grandissant de conserver tous les êtres vivants sans exception. Bien que beaucoup d’efforts soient faits depuis la Convention sur la Diversité Biologique de Rio 1992, les champignons sont restés en marge des actions entreprises pour la conservation de la biodiversité. Pourtant, ils constituent un maillon indispensable pour la stabilité des écosystèmes forestiers et sont d’une grande importance pour le bien-être de l’homme. Ailleurs dans le monde, une certaine prise de conscience a commencé depuis 2 décennies du fait de l’activisme des associations de mycologues, des agences et Ongs engagées dans la conservation de la nature, mais en Afrique subsaharienne, la situation est encore très critique. C’est dans cette logique que le projet Fc-Ssa est pensé et vise à fournir des données sur les champignons et des orientations politiques nécessaires pour leur intégration aux stratégies de conservation dictée par la Cdb, à sensibiliser sur la conservation des champignons et leur habitats dans toute l’Afrique subsaharienne, à renforcer le centre unique d’excellence mycologique de l’Afrique tropicale qu’est le Laboratoire Mytips (Mycologie Tropicale et Interactions Plantes-Champignons) à l’université de Parakou, et à encourager des efforts communautaires pionniers et reproductibles visant à réduire la perte de diversité fongique, de la pauvreté, assurer l’autonomisation financière des femmes et pour réduire les inégalité des sexes au Bénin, grâce à la restauration des forêts sous gestion communautaire, où l’exploitation forestière illégale et la production de charbon de bois menacent les moyens de subsistance durables des femmes, actrices prioritaire de la filière des champignons comestibles et médicinaux. Ce projet, qui a démarré depuis juin 2023, est financé par la Fondation “The Darwin Initiative”, une organisation caritative du Gouvernement du Royaume-Uni, pour une durée 34 mois. Le projet est conjointement mis en œuvre par l’Université de Parakou comme institution coordinatrice, en partenariat avec deux structures Britanniques que sont Cabi et Permaculture Association, et une Ong Zimbabwéenne du nom de Matobo Conservation Society.

Vous parlez de conservation des champignons et de leur habitat, est-il vraiment nécessaire de conserver les champignons et pour quel but ?

La conservation des champignons et de leur habitat est nécessaire en ce sens qu’ils sont des composantes à part entière de la biodiversité au même titre que les animaux et les végétaux, avec une incroyable diversité d’espèces estimée à 6 millions au niveau global, et 18 milles espèces au Bénin dont seulement 3% est réellement documenté et connu (seulement environ 600 espèces sont effectivement connues avec des noms précis). Conserver les champignons, y compris les 97% d’espèces non encore découvertes, permettra de préserver leurs fonctions écologiques cruciales notamment entre autre la décomposition de la matière organique, le recyclage des nutriments et leur absorption par les plantes qui sont en relation symbiotique avec certains champignons et, de continuer à fournir des produits alimentaires et médicinaux aux populations. Par ailleurs, de nombreuses espèces vivent en symbiose étroite avec les arbres forestiers et des plantes cultivées. Par ailleurs, les champignons fournissent des services écosystémiques très impressionnants quand bien même non documentées, ou du moins méconnus du grand publique, des décideurs et des chercheurs. Ils sont utilisés comme ressources alimentaires avec des valeurs nutritives inégalables, et certaines espèces présentent des propriétés thérapeutiques confirmées. On dénombre environ 70 espèces comestibles au Bénin et plus de 30 espèces utilisées pour des fins médicinales. La majorité de ces espèces utiles vit dans des habitats très critiques, et plus de 80% sont en partenariat avec les arbres forestiers. Il se fait que certains de ces arbres sont menacés, du coup les champignons partenaires sont aussi menacés. Les forêts claires soudano-guinéennes et soudaniennes de même que les forêts galeries situées depuis le centre jusqu’au nord du Bénin sont dominées (plus de 70% du biovolume) par les arbres (de la famille des Fabacées, Phyllantacées et Dipterocarpacées) partenaires indissociables des champignons. Les menaces qui pèsent sur ces arbres et leurs habitats (déforestations, exploitation minières, surpâturages, pollutions diverses, changement climatiques…), sont identiques à celles qui frappent les champignons partenaires. La perte des habitats et des arbres partenaires est donc synonyme de l’érosion irrévocable de la diversité des champignons utiles pour les populations locales.

On parle depuis plus de 3 décennies de la conservation de la biodiversité et de la nature, en quoi le projet Fc-Ssa est original et quelle en est la plus-value ?

Le projet Fc-Ssa met les champignons sur la table de discussion des programmes de conservation de la biodiversité pour la première fois en Afrique Sub-Saharienne. Paradoxalement, très peu de pays signataires de la convention sur la Diversité Biologie ont réussi à inclure les champignons dans leur évaluations nationales de la biodiversité et des plans d’action pour sa conservation. Une analyse récente par usage des logiciels approchés a montré que 70% des pays africains présentent de grandes lacunes dans la couverture taxonomique des évaluations nationales de la biodiversité à l’échelle nationale, en ignorant totalement les champignons, tandis que seulement 1% des pays ont inclus implicitement ce groupe d’organisme. La situation est aussi identique lorsqu’on prend les taxa inférieurs comme les bactéries, les archées et les virus. Ces micro-organismes, y compris les champignons, présentent une diversité impressionnante avec des fonctions cruciales pour le fonctionnement des écosystèmes. Tout travail d’évaluation de la biodiversité qui ne prend pas en compte ces micro-organismes est non seulement incomplet, mais inimaginable scientifiquement. La non-inclusions de ces groupes taxonomiques trouve ses causes soit dans l’ignorance des acteurs nationaux chargés de conduire les évaluations, ou dans le manque des experts nationaux pour couvrir ces groupes taxonomiques. Dans l’un ou l’autre cas, l’évaluation reste incomplète et inadaptée au contexte actuel. La principale contribution du projet Fc-Ssa est la dotation de certains pays d’Afrique Sub-Sahariens des données sur les champignons pour leur inclusion dans les Stratégies et Plan d’Actions Nationaux pour la Biodiversité. En partant de 6 pays, nous ferons des évaluations nationales de la diversité et fonctions des champignons pour les mettre à disposition des points focaux de la Cbd, en espérant réaliser le même travail progressivement pour les autres pays. D’autre part, la restoration des habitats des champignons est aussi une action salutaire dans le cadre de ce projet. L’originalité réside dans le fait d’accompagner les populations locales dans leur effort de conservation de la nature basées sur les croyances religieuses endogènes (les forêts sacrées surtout). Ce n’est plus un secret que nos forêts disparaissent à un rythme alarmant pour faire place aux cultures de rentes et aux plantations d’arbres exotiques. A travers le projet Fc-Ssa nous envisageons d’accompagner les populations locales dans leur effort de conservation des forêts sacrées (qui sont naturelles), des forêts communautaires, à promouvant la plantation des arbres locaux partenaires des champignons. Dans sa mise en œuvre, nous responsabilisons les acteurs de la filière des champignons da façon à leur permettre de conduire les actions de façon indépendantes, mais aussi de tirer meilleur profit des différentes actions du projet pour améliorer leur bien-être. Il ne s’agit plus simplement de restaurer les habitats, mais les acteurs clés doivent obtenir des dividendes immédiates (financière et/ou matérielles) de la mise en œuvre des différentes activités du projet. En effet, le bailleur de fond (Darwin Initiative) privilégie les projets qui impacte positivement, prioritairement et immédiatement le bien-être des populations locales. Dans ce contexte, le projet Fc-Ssa priorise l’inclusion des femmes dans un esprit d’égalité des sexes et la promotion de l’approche genre dans les activités de conservation de la biodiversité.

Quelles sont les principales actions de ce projet (les groupes d’activités) ?

Ce projet est structuré en trois groupes d’activités à savoir :

Sensibilisation, compilation de données et évaluation de la diversité et des utilisations des champignons pour soutenir les efforts des pays dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique. Pour un certain nombre de pays d’Afrique, il s’agira de compiler toutes les données existantes sur la diversité, l’usage et menaces des champignons et de fournir ces évaluations aux différents point focaux afin de les inclure dans les documents Snpab.

Restauration des habitats des champignons, reboisement/enrichissement de 20 forêts sacrées, des jardins communautaires et villageois, Chaque année, un total de 3 000 plants sera mis sous terre au sein de 10 forêts choisies à cet effet, soit par enrichissement ou sous forme de zone tampon autour de ces forêts.

Évaluation de l’impact de la mycodiversité et des pertes d’habitats sur le bien-être, les inégalités entre les genres et la pauvreté des populations locales. Il s’agit ici de voir comment les pertes des champignons utiles affectent le bien être des populations et comment soutenir la filière des champignons comestibles de faon à autonomiser financièrement les acteurs et renforcer la sécurité alimentaire. Dans ce groupe d’activités, la production de champignons sera introduite dans les villages ciblés par le projet.

Quels sont les bénéficiaires du projet et l’impact sur les populations locales (bénéficiaires directes et indirectes, les ménages et les femmes surtout) ?

Ce projet impacte directement sur 1000 ménages dans 20 villages à raison de 50 ménages par village dans les arrondissements de Birni, Perma et Koutoupounga au Nord Bénin. Dix autres villages seront sélectionnés au Zimbabwé. Principalement les femmes sont les bénéficiaires directes car elles sont formées sur divers aspects de la production des espèces d’arbres autochtones et employées dans les activités de restauration des habitats, depuis la mise en place des pépinières, à l’entretien des plants et leur mise sous terre, ce qui leur permet de gagner d’argent nécessaire pour leur ménage respectif. Il est aussi prévu de former les femmes sur les plantations de Moringa afin de tirer des avantages financiers de la vente de la farine issue des feuilles. Pour toute activité, les personnes engagées sont représentées à 70% au moins par les femmes. Ce projet impact indirectement toute l’Afrique Sub-Saharienne à travers la mise en place d’une base de données pouvant servir à orienter les actions de conservation dans ces pays. Sur le plan académique, le projet permet de former 3 nouveaux docteurs, qui seront assez outillés pour adresser convenablement les questions de conservation de la biodiversité et la protection de la nature. De façon similaire, ces actions et avantages seront espérés dans les villages sélectionnés au Zimbabwé. Puisque nous parlons aussi de la restauration forestière, le service des Eaux et forêts du Bénin sera impacté en ce sens que le projet œuvre pour la sauvegarde des forêts sacrées et des forêts communautaires. Des efforts sont en cours par les services compétents pour ériger ces forêts sacrées en des aires protégées au niveau national.

Quel est l’impact sur le long terme et comment les populations peuvent-elles pérenniser les acquis du projet ?

À long terme, ce projet permettra de restaurer les habitats naturels des champignons dans les villages bénéficiaires, augmenter la densité des arbres partenaire des champignons dans les forêts et favoriser la production des champignons sauvages utiles pour les populations locales. IL s’agit d’enrichir les forêts naturelles avec des arbres locaux à usages multiples et de perpétuer les valeurs écologiques et services écosystémiques ancestraux, entretenus depuis des millénaires par les populations locales. Depuis des millénaires en effet, les forêts naturelles ont servi de réservoirs de nourritures, de pharmacie et de boissons diverses aux populations locales. Tous ces services sont rompus ou altérés avec les plantations d’arbres exotiques et des cultures de rente. Il s’agit de sauvegarder les reliques de forêts naturelles encore existantes, restaurer les fonctions écologiques originales et perpétuer les fonctions naturelles reconnue autrefois à ces forêts. Pour pérenniser les acquis ethnomycologiques de ce projet, les populations doivent œuvrer à la protection des habitats des champignons et transmettre ces habitudes aux générations futures.

Comment votre projet contribue-t-il à l’atteinte des objectifs nationaux et internationaux.

Principalement, ce projet est en phase avec le nouveau Cadre Mondial pour la Biodiversité de Kunming-Montréal. Ce projet contribue également à l’atteinte des objectifs de développement durable 1 (Pas de pauvreté), 2 (Sécurité alimentaire), 5 (égalité de sexe), 10 (Inégalités réduites), 13 (atténuation des changements climatiques), et 15 (Conservation de la biodiversité). A travers la réhabilitation des forêts sacrées, villageoises et scolaires, le projet contribue à l’atteinte de la cible 3 du Cadre Mondial pour la Biodiversité de Kunming-Montréal, qui recommande à chaque pays d’entreprendre des actions visant à augmente la superficie des aires protégées (jusqu’à 30% de la superficie du territoire d’ici 2030). Le Bénin en ait présentement à 20-21% pour l’instant.

Quels liens faites-vous entre le projet Fc-Ssa et les efforts nationaux de conservation de la nature ?

Au Bénin, le projet Fc-Ssa rejoint les efforts de conservation de la nature à travers les sensibilisations et la restauration forestière avec les essences forestières autochtones. Ce projet rejoint également les efforts nationaux de préservation des forêts pour la promotion des services écosystémiques notamment la fourniture des biens. Sur la base de la politique nationale de gestion participative et de partage de bénéfices, le projet étend les efforts de conservation sur les champignons. Il faudrait cependant reconnaitre que contrairement à certains pays Africains, le Bénin fait exception, du fait que les différents rapports d’évaluations nationales de la biodiversité, entreprises depuis 2000, prennent en compte les champignons. En effet, nous sommes reconnaissants et nous adressons notre gratitude aux collègues des eaux et forêts qui ne ménagent aucun effort pour accompagner toutes nos initiatives en rapport avec la conservation des champignons et des forêts. A travers le point focal de la Cbd, le service national des eux et forêts accompagne la mise en route du projet et prend activement part à nos activités, de même que nous contribuons à de nombreuses initiatives de la DGFRN en rapport avec la biodiversité et sa conservation à l’échelle nationale.

Mot de la fin (Appel à l’endroit des autorités politiques pour l’inclusion des champignons dans les politiques de conservation de la biodiversité)

Il est temps de reconnaître la valeur écologique et socioéconomique des champignons et de les inclure pleinement dans notre Stratégie Nationale et Plan d’Action pour la Biodiversité. Nous appelons donc les décideurs politiques à intégrer explicitement les champignons dans les plans de gestion et de protection environnementale, à soutenir la recherche sur les champignons et à promouvoir leur conservation en sensibilisant le public à leur importance. Ensemble, faisons en sorte que les champignons trouvent leur place légitime dans nos politiques de conservation de la biodiversité.

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Daabaaru