DÉPÉNALISATION DE L’AVORTEMENT AU BÉNIN : Une solution pour réduire la mortalité et la morbidité féminine

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Les avortements non médicalisés sont l’une des causes de mortalité et de morbidité féminines dans le monde. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms), les estimations relatives au nombre d’avortements en Afrique s’élèvent à 6 millions. Sur ce chiffre, seulement 3 % se font dans des conditions médicalisées et sûres pour les femmes. Parmi les victimes qui finissent par succomber ou souffrir à la longue d’infections graves, de cancer du col de l’utérus ou de stérilité, figurent en grand nombre des adolescentes et jeunes femmes. Pour y remédier, quelques rares pays d’Afrique prennent la résolution de légaliser l’Interruption Volontaire de Grossesse (Ivg). Parmi ceux-ci, s’ajoute désormais le Bénin. La légalisation de l’avortement est-elle la solution pour réduire les avortements clandestins et une avancée dans l’accès aux Droits en matière de Santé Sexuelle et Reproductive (Dssr) au Bénin ?

Barnabas OROU KOUMAN

L’Oms définit l’avortement comme une intervention sanitaire simple qui peut être prise en charge de manière efficace par un large éventail d’agents de santé utilisant des médicaments ou par une intervention chirurgicale. L’avortement est un sujet dont on évite de parler surtout en présence des adolescents et des jeunes en Afrique. Ce point négligé dans les débats fait partie intégrante des Dssr. Les adolescents et les jeunes n’ont pas accès aux informations fiables liées à la sexualité et de la reproduction comme cela se doit. De plus, l’offre des services de planification familiale n’est pas équitable à la demande. Priorité est donnée aux couples mariés. Or les besoins non satisfaits en contraception sont deux fois plus importants chez les adolescents sexuellement actifs que chez les femmes mariées : 12,8 millions d’adolescentes ne bénéficient pas des services de planification familiale dont elles ont besoin (rapport Fnuap 2017).

Au Bénin, entre 2016 et 2020, plus de 9000 cas de grossesses ont été recensés dans les établissements scolaires publics et privés par le Ministère de l’Enseignement Secondaire, de la Formation technique et professionnelle. Après avoir contracté une grossesse non désirée ou précoce, le premier réflexe de certaines jeunes femmes et adolescentes non encore préparées à cette étape de la vie est de faire recours à l’avortement plus précisément l’avortement non médicalisé. Mais ces dernières ne sont toujours pas conscientes que cela peut compromettre leur santé et leur bien-être. Au Bénin, la mortalité maternelle est encore un drame. Les avortements non sécurisés y contribuent pour 20% selon les chiffres du gouvernement.

Le sombre tableau des avortements non médicalisés 

D’après une autre étude du Guttmacher Institute datant de 2020, « durant la période de 2015-2019, « 8 millions d’avortements ont été pratiqués en Afrique subsaharienne dont les trois quarts n’étaient pas sécurisés pouvant entraîner des complications médicales, voire la mort de la femme ». Au Bénin, la mortalité maternelle est encore un drame. Les avortements non sécurisés y contribuent pour 20% selon les chiffres du gouvernement.

Ayouba Orou Gounou Guéné est communicateur en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes. Pour l’activiste, « les avortements qui tuent le plus souvent sont les avortements pratiqués dans la clandestinité en dehors des formations sanitaires, dans des conditions hygiéniques qui ne garantissent aucune sécurité mettant en danger la vie des victimes ». C’est dire que les avortements clandestins sont une réalité au Bénin et ceci malgré l’adoption de la loi 2003-04 du 03 Mars 2003 sur la santé sexuelle et de la reproduction.

Dans le contexte du Bénin, les cas de grossesses pour lesquels les femmes expriment un besoin d’interruption ne sont pas autorisés par la loi qui encadre l’avortement. En l’absence d’un tel service, l’avortement clandestin s’impose comme le dernier recours pour ces femmes qui ne savent plus à quel saint se vouer. Et ceci avec tous les risques que cela implique y compris la mort quand cela est mal fait. « Près de 200 femmes meurent chaque année des suites des complications de l’avortement. Ces pertes en vies humaines concernent souvent des femmes qui sont encore dans la fleur de l’âge » annonce le ministre de la santé Benjamin Hounkpatin.

Pour remédier à cette situation déplorable, le gouvernement ne tarde pas à réagir. Il présente ce tableau sombre aux députés afin qu’ils votent la loi N° 2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction au Bénin. Convaincus, les députés votent et adoptent le jeudi 21 octobre 2021 la légalisation de l’avortement, auparavant interdit sauf circonstances exceptionnelles. Désormais à la demande de la femme enceinte, l’Ivg « peut être autorisée » jusqu’à douze semaines « lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale ». Le Bénin rejoint ainsi la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert et le Mozambique, 4 autres pays africains qui ont légalisé l’Ivg.

Quelques blessures que la légalisation de l’Ivg préviendra

Lors de la collecte d’information, si certaines personnes se sont montrées hostiles à discuter de la question de l’avortement, d’autres ont accepté répondre aux questions et de surcroît témoigner.

C’est avec beaucoup de douleur que le père d’une défunte raconte le décès précoce de sa fille adoptive. Brillante et respectueuse avec une éducation stricte et religieuse, elle devrait avoir 17 ans en 2020 et faire la classe de terminale cette même année. « Elle avait contracté une grossesse de deux mois environs. À en croire sa camarade, elle aurait introduit des gélules acquises dans la rue dans sa partie intime pour interrompre volontairement la grossesse depuis près de 3 semaines. Malheureusement, elle passe de vie à trépas car les gélules dont on ignore les caractéristiques, entrainent une grave plaie qui cause assez de dommages au niveau de l’utérus, déclarent les médecins des heures avant son décès à l’hôpital ». C’est ainsi que plusieurs adolescentes, jeunes filles et femmes d’Afrique et du Bénin sont mortes des suites d’un avortement clandestin.

La femme atteinte de fistule

Le second témoignage est celui d’une veuve appelée Valley. La quarantenaire confesse qu’à un moment de sa vie, dos au mur, elle a opté pour l’avortement non médicalisé ce qui lui a laissé des blessures amères. Son mari, elle et leur bébé de 06 mois vivaient dans la précarité. Quelques semaines après, son époux décède suite à un accident. Pendant ce temps raconte elle « je n’avais aucune idée que j’avais contracté de nouveau une grossesse ». Valley n’avait aucun soutien de sa famille ou de sa belle-famille. 6 semaines après, elle informe une de ses amies en espérant qu’elle pourra l’aider à trouver une solution. « Mon amie me recommande de faire un avortement clandestin. Lors de l’opération, la douleur était insoutenable. Les instruments assez tranchants semblables aux aiguilles de tricotage sont introduits dans ma partie vaginale. Le lendemain, une hémorragie s’est déclenchée. Conduite à l’hôpital, je m’en suis sortie de justesse mais avec une fistule obstétricale que je trimbale depuis bientôt 08 ans ».

L’accès à l’Ivg un droit fondamental 

Les experts de l’Onu perçoivent la pénalisation de l’avortement et l’impossibilité d’accéder adéquatement aux services d’interruption de grossesse non désirée comme des formes de discrimination basée sur le sexe. Une législation restrictive qui refuse l’accès à un avortement sans risque représente une atteinte grave aux droits fondamentaux des femmes. Pourquoi ? D’abord « parce que l’avortement est un soin de santé essentiel auquel tout le monde a droit. Ensuite « parce que l’accès à l’avortement et à la contraception est nécessaire pour assurer la justice reproductive pour tous. », certifie Partners for Reproductive Justice (Ipas).

Des études ont démontré que les pays avec les plus faibles taux d’avortement sont ceux où l’accès à l’information est assuré, les méthodes modernes de contraception disponibles, accessibles et l’avortement légalisé. L’exemple de l’Afrique du Sud est édifiant. La loi de 1996 relative au choix en matière d’interruption de grossesse est entrée en vigueur le 1er février 1997 dans ce pays. Des estimations font état de la baisse de décès de femmes par suite de complications liées à l’avortement de 90 % sur une période de 7 ans.

L’avortement sécurisé est donc un droit auquel les femmes doivent avoir accès à l’hôpital sans être stigmatisées. Le ministre la santé Benjamin Hounkpatin annonce également que des dispositions seront prises pour le vote des décrets d’application. Mais en attendant les services de la planification familiale travailleront à ce que les jeunes et toute personne dans le besoin des services de la SSR puissent y avoir accès. Ceci en limitant déjà les grossesses précoces et non désirées par l’utilisation du préservatif et des méthodes contraceptives en fonction du choix de la femme.

Le Bénin en adoptant la loi N° 2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin « participe de la préservation de la santé et de la vie de nos jeunes filles, de nos sœurs, de nos épouses et de nos mères » conclut le ministre de la santé.

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