À l’orée de sa dernière fête nationale en tant que Chef de l’État, Patrice Talon se retrouve face au miroir d’une décennie de gouvernance. Bientôt dix années marquées par de grandes réalisations visibles, mais aussi par des frustrations qui murmurent encore dans les marchés, les champs et les quartiers. De Cotonou à Malanville, les béninois regardent en arrière pour évaluer le chemin parcouru depuis avril 2016. Routes bitumées, usines en construction, réformes engagées... mais aussi paysans en difficulté, écoles en attentes de beau temps. À quelques mois de 2026, l’heure est au bilan, mais surtout aux grandes questions sur l’après-Talon. Qui pour succéder à Talon et poursuivre la politique de développement déjà enclenchée ? Que sera l'après Talon ? Autant de questions que se pose l’écrivain Cosme Logouma, à travers une analyse plutôt critique et précise. Lisez plutôt.
La Rédaction
Réflexion sur une décennie de pouvoir au Bénin : défis, réalisations et perspectives
Par Cosme OROU LOGOUMA
«Au seuil de la dernière fête de l’indépendance sous la présidence de Patrice Talon, j’imagine l’état d’émotion du chef d’État après dix années de pouvoir tenues en main de maître.
Je le vois tel un laboureur, fatigué mais digne, se tenant avec ses enfants face à la jeunesse béninoise. Ce même laboureur, debout devant le porte-parole de l’opposition lançant ses critiques, mesure les limites et les défis de son action.
Il sait que dix ans passent vite. Pourtant, il se donne encore du courage en contemplant le palais royal de Nikki, symbole de l’identité profonde du Bénin. Cette image incarne à la fois l’histoire et l’espoir d’un peuple.
Sur le plan économique, les progrès dans les infrastructures sont visibles : près de 2 500 km de routes bitumées réalisés depuis 2016, modernisation des ports, développement des zones industrielles. Mais la situation des paysans reste préoccupante. Selon le dernier rapport de la FAO, environ 60 % des Béninois vivent de l’agriculture, principalement sur des exploitations familiales à faible rendement. Pourtant, beaucoup gardent leurs sacs de maïs invendus en raison de la faiblesse des circuits de commercialisation et de la fermeture des frontières régionales, notamment avec le Nigeria, qui était historiquement un grand marché pour les produits béninois.
Face à ces réalités, des initiatives comme la mise en place de coopératives agricoles, le renforcement des mutuelles de crédit rurales, et l’introduction de nouvelles technologies agricoles sont nécessaires. Par exemple, encourager l’utilisation de semences améliorées, ou l’accès à des entrepôts frigorifiques pour réduire les pertes post-récolte.
Dans le domaine social, les chiffres sont tout aussi révélateurs : la dépense moyenne de santé par habitant reste faible, autour de 50 dollars par an, alors que l’OMS recommande 86 dollars pour assurer une couverture sanitaire universelle. L’absence d’une assurance maladie généralisée signifie que près de 60 % des Béninois supportent seuls les frais médicaux, souvent au prix d’un endettement lourd. Le lancement du Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU) en 2019 est une avancée notable, mais sa mise en œuvre reste partielle et limitée. Pour une couverture effective, le gouvernement doit accélérer le déploiement de ce système, sensibiliser la population et renforcer les infrastructures sanitaires, notamment dans les zones rurales.
L’éducation demeure un levier crucial. Avec un taux d’alphabétisation national autour de 43 %, et des disparités marquées entre zones urbaines et rurales, il faut améliorer la qualité et l’accès. Par exemple, la formation continue des enseignants, la construction d’écoles dans les zones isolées, et l’introduction d’outils numériques peuvent transformer le paysage éducatif. Des projets pilotes dans certaines communes ont montré des progrès grâce à la collaboration entre État, ONG et partenaires internationaux, mais une politique nationale cohérente et durable est indispensable.
Politiquement, la gouvernance doit s’inscrire dans une dynamique de dialogue. Après une décennie marquée par une centralisation accrue du pouvoir, la confiance entre acteurs politiques reste fragile.
Il est urgent de rétablir un espace de concertation avec l’opposition, la société civile et les forces vives, afin d’assurer une transition pacifique et légitime. La mise en place d’un cadre institutionnel garantissant la transparence, la liberté d’expression, et la participation citoyenne est un chantier prioritaire. La sécurité intérieure est plus que jamais une préoccupation majeure. Face aux menaces terroristes dans la région du Sahel, le Bénin a renforcé ses forces de défense, mais cela doit être accompagné par des politiques d’inclusion sociale pour prévenir la radicalisation, particulièrement chez les jeunes.La coopération régionale avec la CEDEAO et les forces internationales est une clé essentielle pour maintenir la paix.
Ainsi, si les traces du progrès sont visibles, elles restent fragiles. L’avenir du Bénin dépendra de la capacité de tous à conjuguer ces efforts : moderniser l’agriculture tout en protégeant les paysans, étendre la santé pour tous, garantir une éducation de qualité, renforcer la démocratie et assurer la paix.
Que la transition politique de 2026 soit celle de l’espérance, de la lumière pour les zones d’ombre du développement, et que la sécurité devienne le socle d’une prospérité durable».