ENQUÊTE/DIFFICULTÉS D’ACCES À L’EAU POTABLE À BANIKOARA : A la quête de l’or bleu, les populations vivent l’enfer sur terre

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Alors que le gouvernement béninois s’est inscrit dans une dynamique d’accès universel à l’eau potable à l’horizon 2023, la disponibilité de ce liquide vital demeure un défi entier en milieu rural. A Banikoara, dans le département de l’Alibori, l’eau potable se révèle être un luxe. Immersion dans une commune où la quête de l’or bleu s’apparente à un véritable enfer.

Samira ZAKARI

A Tèmèrègou, un village de l’arrondissement de Kokey dans la commune de Banikoara, c’est un puits traditionnel construit à quelques mètres de la concession du chef village, qui dessert les populations. « Nous profitons de la saison des pluies pour utiliser ce puits. Cette saison terminée, il ne contiendra plus rien », lance Orou Magazi Nago, rencontré dans la matinée du dimanche 15 août 2021. Visiblement affaiblie par les travaux ménagers de la matinée, une femme s’échine à tirer la puisette pour remplir sa bassine et celle de ses enfants.

Une femme puisant l’eau au niveau du puits de Tèmèrègou

En dehors de ce puits traditionnel, les populations ne disposent que d’une seule pompe à motricité humaine, située à près de 3 km de la concession du chef village. « Les femmes sont obligées de se lever tôt, parfois à 3 heures », raconte le chef village. Une fois à la pompe, poursuit-il, elles se mettent en rang pour permettre à chacune d’avoir au moins une bassine d’eau pour son ménage. « Ce n’est pas facile. D’autres sont obligées de se rendre à la rivière », se lamente l’autorité locale.

La pompe du village de Kaou-kaou en panne

Dans les villages de Kaou-kaou et de Yarabo situés dans l’arrondissement de  Gomparou, le constat est davantage inquiétant. Ces villages dont les populations sont en majorité des producteurs de coton et de soja, ne disposent d’aucun point d’eau potable « On avait une pompe dans le village. Mais elle est gâtée depuis près de 10 ans », confie avec désolation Thomas Chabi, un habitant. Bana Satou, une femme au foyer à Yarabo, s’en plaint également. « C’est Dieu qui nous sauve ici, on boit ce qu’on trouve ». En saison pluvieuse, les populations de Kaou-kaou et de Yarabo consomment l’eau de pluie ou de rivière. « Il y a plus de 10 ans qu’on ne connait plus le goût de l’eau de pompe. Chaque soir, avant de dormir, on dispose des bassines devant les chambres pour recueillir l’eau de pluie », a laissé entendre Baké, à Kaou-kaou. Si l’eau de pluie qui nous a été présentée dans ce village, était plus ou moins limpide, ce n’est pas du tout le cas de celle provenant du marigot, seule source d’eau des populations en ces temps pluvieux.

Au niveau de ce marigot située à environ 5 Km de la concession de Baké la femme qui nous a accueilli à Kaou-kaou, on a pu constater une eau de couleur marron que l’on pourrait comparer au ‘’tchoucoutou’’, boisson locale produite et consommée dans plusieurs communes du Nord-Bénin. Cette eau est utilisée aussi bien pour la consommation que pour les activités ménagères. « Vous voyez par vous-mêmes, c’est l’eau que nous consommons. C’est notre quotidien. En saison sèche, le marigot tarit et nous sommes obligés de creuser pour avoir de l’eau », relate Mariama, une mère au foyer rencontrée en train de faire la lessive sur les lieux.

La source d’eau du village de Yarabo

Du côté de Yarabo, les populations s’approvisionnent au niveau d’un profond trou, où l’eau de ruissellement finit sa course. A la question de savoir comment est traitée l’eau avant consommation, Bana Satou rencontrée sur place a fait savoir qu’elle est chauffée et filtrée avant d’être déversée dans les jarres. Selon les populations, cette eau est source de maladie. « La dysenterie est la maladie dont souffre fréquemment nos enfants. On est toujours malade, l’eau que nous consommons provoque des problèmes de peau. Quand on va à l’hôpital, le major dit que l’eau que nous consommons n’est pas potable et c’est cela qui est à la base de tout », explique Bana Satou. A l’en croire, cette eau a également desconséquences sur les menstrues. « Nous souffrons beaucoup. Le sang est souvent coagulé et on a mal au bas-ventre », a poursuivi cette femme. Interrogé sur la question, le responsable hygiène-assainissement de la zone sanitaire Parakou-N’dali-Tchaourou, Olivier Bénon a confirmé les propos de dame Satou. « En consommant de l’eau non potable, on est exposé à beaucoup de maladies notamment le choléra, la dysenterie, la fièvre typhoïde, le ver de Guinée et bien d’autres ». Apres une pluie pense-t-il, l’eau de ruissellement emporte tout sur son passage y compris les excréments des animaux chargés de bactéries et parasites, qui souillent l’eau des marigots.

Eau, source de conflits

Un éleveur abreuvant son troupeau

A Banikoara, l’eau devient une source de conflits, précisément dans les zones reculées. Dans leur quête d’eau, les femmes rencontrent sur leur chemin, des éleveurs qui parcourent également des kilomètres à la recherche du liquide vital pour leur troupeau. Chacun voulant s’approvisionner dans la seule réserve, la situation dégénère et s’en suivent des affrontements. « Ici à la pompe, on n’est pas seul. Il y a les peulhs qui viennent avec leurs animaux comme vous le constatez actuellement. Ils usent souvent de la force pour passer avant leur tour, parce qu’ils nous prennent pour des femmes. Lorsqu’on tente de résister, la dispute prend une autre tournure », raconte une femme du village de Tèmèrègou. Interrogé sur la question, le chef du village de Tèmèrègou a reconnu avoir été déjà confronté à ces genres de différends entre les femmes et les bouviers. Néanmoins, des solutions ont été toujours trouvées pour un règlement à l’amiable, selon lui.

Une jeune fille appuyant sur une pompe

Le problème d’accès à l’eau potable ne se pose pas uniquement à Kaou-kaou, Yarabo et Tèmèrègou. C’est toute la commune de Banikoara en général qui est confrontée à ce problème. « Même à Banikoara centre ici, où il y a des robinets de la Société Nationale des Eaux du Bénin (Soneb), on fait des jours sans eau. Les puits tarissent en saison sèche », témoigne Marzouck, un conducteur de Taxi-moto. En dehors des robinets des raccordements de la Soneb dans quelques arrondissements, il y a également des pompes à motricité humaine. Mais la majorité de ces infrastructures connaissent des dysfonctionnements au niveau de certains villages. Toutes nos démarches auprès du chef service hydraulique de la mairie de Banikoara pour avoir le nombre exact des pompes à motricité humaine réalisées dans la commune et celles actuellement fonctionnelles ont été vaines.

La mairie limitée dans ses actions

Depuis 2017, le gouvernement béninois a créé l’Agence Nationale d’Approvisionnement en Eau Potable en Milieu Rural (Anaepmr). Désormais, c’est la seule structure chargée de la mise en œuvre des projets d’infrastructures du secteur de l’eau en milieu rural. Sur la question des pompes en panne dans la plupart des villages, le chef service hydraulique à la mairie de Banikoara, Firmin Sabi Sénon, a confié avoir mené des démarches pour rendre fonctionnelles ces infrastructures. Mais, apprend le responsable, des gestionnaires délégués n’honorent pas leurs engagements vis-à-vis de la mairie.

« Banikoara a un système de gestion dans le secteur de l’eau. Il y a des localités où l’eau est vendue directement au moment où ailleurs, les populations viennent puiser et payent après chaque récolte, une cotisation. Tous les forages qui sont dans les localités sont délégués », explique-t-il. Selon lui, c’est la communauté qui choisit, « en présence du responsable communal », quelqu’un pour gérer le forage. « Après chaque récolte, le délégataire prend le soin de récupérer auprès de chaque ménage du village, la part de cotisation devant servir au payement des redevances à la mairie », poursuit Firmin Sabi Sénon. Ces redevances, précise-t-il, « varient entre 40 000 et 80 000 F cfa selon la fréquentation de la pompe ». Pour le responsable, sur cette base, il revient à la mairie de réparer les forages en cas de panne. Mais, ajoute-t-il, la mairie intervient seulement pour « des pannes importantes, à partir de 100 000 Fcfa ». Les petites pannes sont gérées par le délégataire après la vente de l’eau, apprend-t-il. « Alors, si vous constatez qu’une pompe est en panne, c’est parce que le délégataire a fait preuve de mauvaise foi en son temps », pointe le chef service hydraulique à la mairie de Banikoara.

Des propos confirmés par Issiakou Orou Kpaya, artisan réparateur de pompe à motricité humaine dans la commune de Banikoara. « Quand il y a panne au niveau d’une pompe, la mairie nous demande toujours d’aller pour la réparation. Il y a de ces délégataires qui n’aiment pas aller verser les redevances et dans ce cas, la mairie ne peut rien faire puisque c’est l’argent versé qui permet de faire les réparations », renchérit-il. C’est pourquoi, apprend-il, la mairie a organisé des séances de sensibilisation au niveau des localités concernées afin d’amener les délégataires à un changement de comportement. Face à l’échec des démarches menées, confie Firmin Sabi Sénon, la marie a « procédé au changement des délégataires là où le problème persiste », de commun accord avec les communautés.

Le responsable souligne cependant que les délégataires ne sont pas les seuls sur le banc des accusés. « Il y a dans certaines localités, des personnes qui refusent de payer la cotisation », révèle-t-il. Une situation qui peut créer selon lui, des frustrations et conduire d’autres à ne plus verser régulièrement leurs cotisations.

A Banikoara, les populations gardent malgré tout, l’espoir d’un avenir radieux dans le secteur de l’eau. Avec les yeux larmoyants, elles invitent l’autorité communale Bio Sarako Tamou qui s’échine au quotidien à améliorer les conditions de vie de ses administrés, à voler à leur secours afin que cesse ce calvaire qui a assez duré.

Il faut noter que dans une version précédente, une erreur est survenue dans la localisation du village de Yarabo qui a été situé dans l’arrondissement de Goumori au lieu de Gomparou.

Nb : Cet article est réalisé dans le cadre du projet ‘’Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021 : cas de l’eau et la santé, financé par la Fondation Friedrich Ebert (Fes) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et Odd Tv 

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