GESTION DU CLIMAT AU BENIN : La valorisation des savoirs endogènes, un impératif ?

4 ans ago | Written by
16 921 vues
0 0

Il ne passe pas une saison pluvieuse sans que les populations n’enregistrent des dégâts issus des pluies. Et pourtant, les climatologues ont toujours essayé à leur manière d’apporter des solutions idoines à travers des prévisions météorologiques qui sont pour la plupart ignorées ou mal comprises par les populations. Ainsi, après plusieurs années de réflexions, le professeur Bonaventure Eustache Bokonon Ganta enseignant chercheur et directeur du laboratoire de climatologie de l’Université de Parakou, s’est lancé comme défi d’associer les savoirs endogènes dans la gestion du climat au Bénin et en Afrique. Dans un entretien accordé au journal Daabaaru, l’enseignant chercheur explique comment il est impératif d’associer et de valoriser les savoirs endogènes dans la gestion du climat. Lisez-plutôt

Wahabou ISSIFOU

Daabaaru : Vous menez des études pour pouvoir associer les savoirs endogènes dans la gestion du climat, dites-nous d’où est venue cette idée ?

Professeur Bonaventure Eustache Bokonon Ganta : Merci pour la question, ça permet de remonter un peu plus loin. Vous savez, le 16 février 1981, j’ai été mis à la disposition de l’école normale supérieure1 en formant jusqu’en deuxième année pour enseigner la géographie-physique, je devais passer mon Certificat d’Aptitude Professorat de l’enseignement moyen. Mes professeurs et mes autorités d’école normale supérieure ont décidé que je pouvais aller faire mes armes à l’université directement sans passer par le secondaire. J’ai été surpris, quand je suis arrivé, j’avais été formé pour la cartographie et mon chef département, paix à son âme, feu monsieur Adam Sikirou, il me reçoit à la session géographie à Calavi et me dit bon, voilà Eustache, on n’a pas besoin d’un cartographe dans un département mais nous n’avons pas de climatologue. Le département a décidé que vous occupez le climato. Je dis ah ça, c’est compliqué, ils avaient un besoin au niveau de la climatologie. Il a dit bon moi j’ai fini tu peux partir… Donc ça s’est passé comme ça et je suis passé dans toutes les divisions… Je préparais en 1982 mon cours de climatologie et je me suis dit mais en fin de compte, est ce qu’avant que le premier blanc n’arrive sur les côtes africaines au 15e siècle, les gens ne faisaient pas quelque chose qu’on pouvait appeler climatologie. Donc, j’ai lancé les premières séries de recherche sur ce que j’ai appelé perception de types de climat par nos paysans et beaucoup d’étudiants, beaucoup sont pris au jeu et quand ils allaient en vacances, ils venaient me voir et je dis bon, toi tu es de quelle nationalité, tu es de quel groupe socioculturelle et puis ils allaient faire des recherches, c’était informel au départ et puis après la deuxième série a été organisée…j’ai eu l’opportunité avec ma conception avant de participer à un atelier à Lausanne et en Suisse. Et là, j’ai osé programmer un article que j’ai appelé les nouvelles climatologies. Ça été une bagarre à ce moment-là, deux camps s’étaient formés…
Donc ça été toujours une bagarre. Et j’ai reçu un message pour l’évaluation de l’article, on m’a dit, bon, c’est bien mais nous n’avons trouvé de définition nul part, si vous proposer une définition, votre article sera publié. Je m’étais dit au départ que les gens ne vont pas publier mais une petite voix me dit « essaie quand même ». C’est là que j’ai formulé la première définition, la seule d’ailleurs qui a été envoyé et l’article a été publié. J’ai dit dans ce cas si la revue par les pères m’autorise à continuer les recherches dans ce sens, je continue…Alors actuellement, j’ai personnellement couvert 52 groupes socioculturels en Afrique de l’Ouest surtout au Bénin presque tous les groupes qui sont passés, au Togo, la majorité des groupes…Les groupes autochtones n’ont pas d’instruments de mesures mais ont des appréciations qualitatives très précises, en ce qui concerne les caractéristiques, en ce qui concerne la variabilité, en ce qui concerne la dynamique, en ce qui concerne les impacts, au plan agricole surtout, que ce soit l’élevage, que ce soit au niveau de la pêche où on en a très peu mais, les pêcheurs aussi savent très bien ce qu’est une météorologie marine, donc, c’est un volume important de connaissance et lorsque je m’étais retrouver à un colloque international en Afrique du Sud , j’ai dit ceci et si les africains devaient proposer cette façon de voir la climatologie, au monde entier parce qu’aux rendez-vous , où on devait se voir en climatologie, l’Afrique a très peu fourni…Donc c’est quelque chose qui tient, actuellement nous sommes à une météorologie stabilisée, nous en sommes à un guide de collecte des données, nous en sommes actuellement à un modèle de traitement bien complet. Puis nous avons sorti une première plaquette le climat selon les Fon qui va être éditée en grande quantité et vendue ou distribuée.

Quand on prend tout ce qui vient d’être dire, est qu’il y a espoir que les réalités dites par les groupes socioculturels soient vraiment prises en compte ?

Il y a totalement espoir, récemment, le fonds national pour l’environnement et le climat qui est une très grosse institution puisqu’elle vient d’être accréditée au plan mondial auprès de ceux qui sont au secrétariat des Nations-Unies pour la convention cadre des Nations-Unies pour financer en faveur du changement climatique, en faveur de l’adaptation, en faveur de la dimension et autres, ce fonds national vient de lancer un appel à proposition de projet pour financer des études dans le cadre des savoir locaux de gestion de climat. Il y a deux ans ça n’existait pas, mais vu l’importance des échanges que j’ai eu avec des gens, vu que sur le terrain cela s’impose, vu qu’il faut pour la résilience des communautés associer leurs savoirs et savoir-faire locaux afin que ces communautés puissent intégrer tout ce que nous venons leur dire tout ce que nous venons leur enseigner dans leur pratique quotidienne.…Donc vous voyez que la pérennisation est déjà quelque chose d’acquis et deuxième forme de pérennisation que je disais tout à l’heure nous allons sortir des plaquettes sur d’abord des monographies sur climat et société et puis après au delà des monographies nous allons sortir des petites plaquettes sur vocabulaire courant du climat dans les différentes langues et puis nous préparons aussi un troisième document puisque les paysans sont les plus touchés, de plus en plus alphabétisés.

Alors est-ce que déjà, vous commencer par préparer la relève puisque vous êtes le seul à détenir le privilège ?

La relève est préparée et est même très bien préparée parce que Docteur Akibou Akidélé qui est chef du Département de Géographie à la Faculté des Lettres de l’Université d’Adjarra est très profondément ancré dans ce scénario. Il a déjà fait un Dea et un doctorat sur la thématique et continue d’y travailler même d’enseigner, la plupart de ces sujets de mémoire de licence à Adjarra là-bas portent sur des questions d’ethno climatologie et nous nous sommes tout le temps en contact et il est même très avancé parce qu’il a intégré les chansons, les incantations et autres dans son approche. Vous voyez la relève est préparée, ce n’est pas demain, personne ne nous dira actuellement d’arrêter ces réflexions puisque c’est allé déjà au-delà du territoire.

Est-ce que cela ne frise pas du charlatanisme, du fétichisme pour savoir si les recherches sont vraiment justifiables à long terme ou ne changent pas les résultats ?

Merci, c’est l’occasion d’en remercier le professeur Bako directeur adjoint de l’école doctorale qui a un laboratoire qui s’occupe des savoirs endogènes, de gestion de l’environnement qui a mis deux étudiants sur cette thématique en thèse. Il faut dire qu’ils travaillent sur un aspect très important c’est-à-dire les prédicateurs du climat par les populations rurales. C’est-à-dire, comment est-ce que le paysan prédit qu’il aura la pluie tôt ou tard dans l’année. En somme, ils vont évaluer tous ces aspects et ça va être une très bonne thèse. Donc pour venir à votre question, il ne s’agit pas du charlatanisme, mais c’est ceux qui ne veulent pas comprendre ou à qui on refuse de comprendre qui verront ça sous cet angle.

Vu tout ce que vous avez soulevé plus haut, un clan qui sollicite un autre clan, est ce que ceci ne soulève pas le problème d’unification des forces ? Est-ce que ceci ne peut pas les amener à former une association ?

Quand j’ai fait la thèse en 1987, j’ai proposé qu’il faille faire des conseils consultatifs de météorologie. Malheureusement, le lobby Cader n’avait jamais voulu prendre en compte les questions endogènes en rapport avec la gestion du climat. En 1970, il y a eu une sécheresse sévère et le programme phare du gouvernement Kérékou était les coopératives agricoles expérimentales de type social. Le gouvernement avait beaucoup misé sur ça…Il y a eu rupture après les premières pluies de 300 ha de coton et 200 ha de maïs ce qui allait faire capoter la coopérative. Le préfet avait dit qu’il fera venir des citernes de Cotonou pour arroser si cela tenait qu’à lui mais on ne peut pas échouer à Bori. Et les gens l’ont dissuadé qu’on n’a pas besoin d’amener des citernes depuis Cotonou car pour eux il y a des paysans qui peuvent dire quelque chose pour que la pluie tombe. Voilà que c’était dans un contexte où il y avait la lutte contre la rougeole, les sorciers et donc on enfermait les gens pour rien. On en était là quand quelqu’un dont je vais taire le nom est allé voir un imam à Parakou qui avait de solution, qui le faisait. Au début le vieux était réticent d’aider puisque c’était une période très sensible. Il a par la suite accepté en imposant une condition à celui qui est venu le chercher comme quoi ce dernier et toute sa descendance seront maudits s’il lui arrivait quelque chose. C’est alors qu’il a été conduit à Bori au niveau du champ. Il a demandé qu’on apporte un gui de karité, un taurillon noir. Tout ça a été mis à sa disposition et il a fait sa prière, a immolé le taurillon et a fait toutes les cérémonies nécessaires. Après cela je vous dis qu’il y a eu pluie sauvagement au point où la terre est devenue argileuse. C’est alors que les gens ont su que cette affaire, on en parlait et elle existait vraiment mais comme on était en période révolutionnaire, les gens ne pouvait pas avouer ça ouvertement. C’est pour vous dire que les gens ont la connaissance et il suffit de chercher le noyau essentiel pour pouvoir l’utiliser sans que cela ne vous porte pas préjudice. Les conseils consultatifs ne peuvent se faire que dans un système moderne mais il faut que les gens du Cader adhèrent à ces genres de chose parce que ces genres de chose perturbent peut-être les fondamentaux de la formation de l’éducation qu’ils ont reçue. Je suis dedans depuis 1982 et plus on va avoir une première solution c’est-à-dire mettre en pratique sur trois années vous avancez, plus vous apprenez.

L’autre préoccupation est que jusque-là, on a encore du mal à associer tous ces clans sous prétexte que les secrets peuvent être utilisés contre un autre clan, n’est-ce pas une faiblesse pour l’évolution de l’ethno climatologie ?

Non ce n’est pas une faiblesse. Vous savez, le royaume Idaatcha a été créé au 15e siècle, Savalou, depuis le 16e siècle bien avant que ne naisse le royaume Fon d’Abomey. Mais quand vous allez dans les couvents Sakpata d’Abomey actuellement ou du Sud Bénin en général, l’enseignement qui se déroule se fait en Idaatcha. Les faits, les réalités sont têtus. Et en fait, ces réalités ne sont pas encore rentrées dans un système de mondialisation. Pourquoi lorsqu’un chercheur fait une bonne découverte, il se dépêche d’aller breveter, mais nous on n’a pas de brevet dans le temps. Pour qu’il y ait brevet, il faut capitaliser, chercher la quintessence et à partir de là, on va dire bon, voilà le noyau actif et à partir du noyau actif on va faire des expérimentations, des évaluations scientifiques. Après une série d’évaluation on pourra dire que ça, c’est une vérité qui dévient universelle. C’est après quelqu’un va courir et dire j’ai écrit un livre, il ira à la bibliothèque nationale pour ci et ça. Ça va monter sur le net, on dira qu’il a fait ci et ça alors qu’il n’a rien fait. Il est parti d’une société, d’un groupe socio culturelle. Nous ne sommes pas comme au Nigéria où il y a des universités où on enseigne le Fâ, où il existe des messes du vodoun.

Quand est-ce qu’on y arrivera ?

On ne doit pas voir les choses à l’échelle de l’homme qui après deux générations est déjà presque à la fin de sa vie sur terre. Mais l’information qui a survécue jusque-là, a été conservée par des histoires, des chants, des danses, des dictons, des citations, des proverbes qui sont transmis de bouche à oreille, de génération en génération et c’est ça que j’appelle la mémoire du climat. Alors il faut être optimiste, c’est une question de temps, de moyen et d’engagement. C’est pour cela qu’il faut féliciter le ministre de l’intérieur qui avait voulu organiser un gros atelier ici à Parakou avec la Giz sur la capitalisation des savoirs et savoir-faire des producteurs du Bénin. J’avais rassemblé près de 30 groupes socioculturels mais malheureusement la Covid-19 ne nous a pas permis de tenir l’atelier. Ça veut dire que les gens s’intéressent de plus en plus à la chose.

Article Categories:
A la une · Agriculture

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Daabaaru