GROGNE AU BENIN : Un mécanisme de veille citoyenne mis à rude épreuve . Quid des ‘’grogneurs’’ professionnels ? 

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La participation des citoyens est incontestablement un élément important pour améliorer la gouvernance des autorités notamment au niveau local. Ainsi, les émissions d’opinion ou de libre antenne des radios communément appelées « grogne » au Bénin, sont de plus en plus de puissantes armes utilisées par ces citoyens pour dénoncer certains faits qui freinent le développement de leurs communautés. Il convient cependant de savoir si les suggestions des grogneurs sont toujours prises en compte par les autorités. De même, de plus en plus certains sujets de grogne semblent ne pas être objectifs laissant le doute sur leur pertinence.

Samira ZAKARI

La décentralisation et la gestion participative au Bénin imposent aux citoyens l’accompagnement des dirigeants dans la gouvernance par leurs points de vue sur les questions concernant le développement de leur cité. Et c’est dans cette perspective que sont initiées par les chaînes de radio publiques comme privées, des tranches de libre antenne ou d’opinion connues sous le nom de « grogne » à travers lesquelles le citoyen dénonce un fait ou apprécie l’action publique. Gérard Viaho acteur de la société civile, se veut plus clair. « Le développement local impose la participation du citoyen au développement de sa commune. Et la grogne est un outil fondamental et stratégique pour un démocrate, pour quelqu’un qui est dans le développement communautaire. La grogne suppose que l’individu lambda qui est dans sa localité a constaté quelque chose de mauvais et est celui qui fait connaître cela à l’autorité ». Ainsi, être grogneur n’est pas donné à tout le monde, il faut donc avoir des aptitudes, faire preuve de professionnalisme et être engagé pour le faire.

De l’organisation de la grogne

« Vous allez constater aujourd’hui qu’on parle de faiseur d’opinion et non de grogneur. C’est compte tenu d’un certain nombre de formation qu’ils ont reçu de la part des partenaires. Il faut savoir aussi qu’il y a un système qui les a mis en association et un président doit connaître les membres de son association. Ils sont formés sur comment parler, sur comment grogner pour ne pas porter outrage à l’autorité et pour avoir gain de cause », explique Gérard Viaho. Ce que confirme d’ailleurs Boni Gouda, président de l’Association des faiseurs d’opinion de Parakou, « nous avons créé notre creuset pour mieux nous faire entendre, pour informer l’opinion publique des faits qui se réalisent. C’est donc pour accompagner les autorités, car étant dans son bureau, il ne peut jamais savoir tout ce qui se passe dans les différents quartiers. Notre association est juridiquement assise, est enregistrée à la préfecture et au journal officiel. Nous sommes fréquemment formés, nous n’avons pas droit à l’erreur et tant qu’on n’a pas vérifié une information, on ne doit pas grogner ».
Par ailleurs, pour accompagner les faiseurs d’opinion dans cette démarche plutôt constructive, les chaînes de radio se présentent comme leur porte-voix auprès des différentes autorités, à travers les émissions de « grogne » qui sont diffusées par plusieurs radios au Bénin. Pour Donatien Djéglé, journaliste, chef programme de la radio Arzèkè à Parakou et initiateur des « grognes matinales » dans la cité des Koburu, l’idée de dédier une tranche à la « grogne » dans les programmes de la radio est partie d’un constat. « On a constaté que le contrôle des actions publiques et la veille citoyenne sont des outils nécessaires pour le développement local comme national. Nous savons aussi que le maire et ses adjoints ne peuvent pas être partout et au même moment, et les mairies ont ce qu’on appelle des cellules de communication qui sont des intermédiaires entre les organes de presse et les mairies et ils devaient pouvoir relayer les préoccupations des populations aux autorités. C’est à partir de là qu’on s’est dit, permettons aux populations de s’exprimer librement pour poser elles-mêmes leurs préoccupations aux autorités », a souligné le professionnel des médias.
Ainsi, les populations en intervenants dans ces émissions espèrent un changement, une réaction positive des autorités face à leurs différents problèmes.

Des avantages

A en croire Boni Gouda, les « grognes » portent leurs fruits dans la ville de Parakou au vue des réalisations dont a bénéficiées la population grâce à ce combat. « Grâce à la grogne, Parakou peut dire merci pour le contournement et la traversée de la ville, il a fallu l’intervention des faiseurs d’opinion pour que le scanner qui avait disparu en son temps revienne (à l’aéroport de Tourou ndlr). Par les grognes, plusieurs écoles ont bénéficié de modules de salles de classes de l’autorité même s’il reste encore à faire », constate le président de l’Afop.
Même si dans l’ensemble, les faiseurs d’opinion luttent pour une cause claire qui est l’amélioration des conditions de vie des populations, ils n’échappent pas à la mauvaise foi de certains politiques qui ont horreur d’entendre la vérité et du coup prennent les faiseurs d’opinion pour leurs ennemis.

Des risques de la grogne

Compte tenu des nombreux risques auxquels sont exposés les « grogneurs » au Bénin, le président de l’Afop précise que pour s’engager dans cette lutte de cause publique, il faut avoir le dos large et la carapace dure pour supporter les coups de ces politiciens qui, « ne veulent pas qu’on dénonce les mauvais faits, les malversations qui se passent à tort et à travers ». Aussi faut-il préciser que certaines personnes ne faisant partie d’aucune association de faiseurs d’opinion, sont payées par des individus quelconques pour appeler sur les chaînes de radio et diffamer sur une autorité sans raison valable comme l’a confié d’ailleurs Gérard Viaho de la société civile. Toute chose qui met à mal la lutte de ces associations reconnues pour accomplir cette tâche, ce qui entache leur bonne moralité. Un constat confirmé également par le journaliste Donatien Djéglé, « il y a souvent des auditeurs qui veulent déconner. Les objectifs de la grogne sont pourtant clairs, l’émission de grogne c’est pour le développement. Mais lorsque vous commencez par faire l’apologie d’un homme politique, vous n’êtes plus en train de faire de la grogne et nous, nous vous arrêtons immédiatement car nous sommes également suivis par la Haac. Et la Haac ne connaît pas nos programmes, mais ce que disent les textes quand une radio est en déphasage avec la loi. Ce qui ressort du pouvoir du journaliste et de la radio et quand vous allez au delà, il y a des sanctions ».
En somme, la grogne au Bénin est l’un des outils qui permettent aux dirigeants d’être à l’écoute du peuple et de s’enquérir des maux qui minent le développement à tous les niveaux. Mais, tout n’est pas parfait dans son organisation. C’est pour cela que l’acteur de la société civile fait des propositions.

Approche de solution

Gérard Viaho propose que tous les faiseurs d’opinion au niveau de chaque commune se fassent connaître en adhérant à une association reconnue. Il faut également un numéro d’immatriculation de chaque « grogneur » ce qui permettra de l’identifier par son association et de repérer, « ceux qui se font passer pour des faiseurs d’opinion et viennent vendre leur haine au niveau des radios et de leur infliger la sanction qu’il faut ». Aussi faut-il, selon lui, revoir la gestion des « grognes » en créant au niveau de chaque commune un registre utile pour les gouvernants de sorte à pouvoir répertorier, « toutes les grognes d’une semaine par exemple et installer un comité de suivi de la réalisation stratégique que l’autorité fait des différents points soulevés par les faiseurs d’opinion ». Et pour finir, Gérard Viaho souhaite que la manipulation qui est faite au sein du système de grogne soit revue. « Les grogneurs ne doivent pas être intimidés parce qu’ils ont dénoncé. Les faibles du système ne doivent pas être manipulés par les dirigeants pour grogner en leur faveur, pour défendre du faux », pense-t-il. Car à l’en croire, les « grogneurs » doivent être considérés comme des accompagnateurs de leur travail et non comme des opposants.

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