INTERDITION DU CHATIMENT CORPOREL EN MILIEU SCOLAIRE AU BÉNIN : Regards croisés d’enseignants, d’élèves et d’un psychologue . Les méthodes pour contraindre les élèves à obtempérer

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Défini comme une forme de punition dont l’objectif est d’infliger une douleur physique afin d’amener une personne reconnue coupable d’une faute ou d’un délit à se repentir, le châtiment corporel traumatise, freine le développement et l’épanouissement des élèves. Suite à ce constat, une note circulaire du Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle (Mestfp) en date du 22 novembre 2018, a interdit le châtiment corporel dans les établissements scolaires du Bénin. Dans l’opinion publique, l’unanimité sur la question de l’interdiction du châtiment corporel est loin d’être faite. Nombreux sont ceux qui pensent que le châtiment corporel dans le système éducatif n’est pas mauvais, seulement qu’il urge de revoir la manière de l’appliquer. À travers ce dossier de la rédaction, des enseignants, des parents d’élèves et un psychologue font une lecture croisée sur la question. 

Huguette LAWANI & Elvire A. MARIANO (Stgs)

L’interdiction du châtiment corporel en milieu scolaire est une réalité au Bénin. Plus aucun enseignant n’a le droit de lever la main sur ses élèves pour quelque raison que ce soit. À travers cette décision, le gouvernement entend faire la politique de promotion d’une éducation sans châtiment corporel dans le système  éducatif béninois.

Réaction des enseignants

Cependant, les instituteurs et institutrices se retrouvent limités dans l’exercice de leur mission qui est non seulement d’enseigner mais aussi d’éduquer. À en croire quelques instituteurs rencontrés, ils sont désormais considérés comme camarades de leurs propres élèves. « Les élèves n’ont plus peur du maître ni de la maîtresse, ils en font à leurs têtes. Même les devoirs qu’on leur donne, il faut crier avant que certains ne le fassent. D’autres ne font même pas. Ce comportement ne permet pas aux instituteurs d’avoir le rendement exigé », a laissé entendre Estelle K. institutrice dans une école de la ville de Parakou. Tout comme elle, Bérénice G., maîtresse au Cours Initial (Ci) dans une école catholique de la ville, a notifié que cette décision a changé la donne. « Quand on prend la chicotte ça marche plus, on avait de bons rendements auparavant, mais aujourd’hui ce n’est pas le cas. Dans les privés, la situation est gérable puisque l’effectif est un peu moins. Même à une de nos rencontres Up lorsque la question a été posée on a donné nos avis, on n’est pas d’accord mais on fait avec. Le niveau des élèves est très bas », a t- elle notifié.

Si pour certains, le châtiment corporel en milieu scolaire permet de vite recadrer les élèves et d’avoir de bons résultats, cela n’est pas le cas pour d’autres. Pour Adamou Chabi Bouko Yosounon, directeur de l’Ecole Primaire Publique (Epp) Albarika groupe C, « l’absence du châtiment corporel a un impact positif dans le système éducatif en ce sens que l’apprenant fait des apprentissages sans peur, dans un climat de confiance ». Il faut noter que le fait que les élèves soient au courant de la loi interdisant le châtiment corporel n’arrange non plus les choses pour les enseignants. Plusieurs élèves le disent ouvertement. « On ne me touche pas, l’Etat a refusé », a fait savoir Brice H. enseignant dans un collège de la place.

Ce que pensent les parents

Dans un pays comme le Bénin où l’on prône le respect des aînés, où autrefois dans un passé pas si lointain, les élèves accordaient plus de respect à leurs enseignants qu’à leurs propres géniteurs, l’éducation rimait avec redressement. À en croire certains parents, le système éducatif béninois avec l’actuelle pédagogie d’enseignement ne peut prospérer sans le recours au châtiment corporel surtout avec les différents programmes télévisés. « Moi, ma fille dès qu’elle rentre, c’est immédiatement les dessins animés à n’en point finir. Elle ne demande même pas la nourriture, or elle a des exercices à faire. Il faut crier, crier et taper même avant qu’elle ne se concentre un peu. Sa maîtresse à l’école est trop calme et trop douce. Du coup, elle ne la craint pas. Depuis le jour où j’ai demandé à la maîtresse de l’intimider un peu, les soirs quand elle rentre, c’est d’abord les exercices, si elle ne comprend pas, elle vient en pleurs chez moi pour que je l’aide. Elle a trop peur de la chicotte, du coup elle fait tout pour ne pas se faire frapper », a laissé entendre Nicéphore Agangla un parent d’élève. Même son de cloche pour Elisabeth N’po, qui estime que son enfant ne réagit que sous quelques coups de fouet. Par contre, pour Victoire Dénonci un parent d’élève, l’adage qui dit “c’est une et une seule personne qui garde la grossesse mais c’est le monde qui éduque l’enfant ” n’est pas la bienvenue chez elle. « Personne n’a le droit de frapper mon enfant, je dis bien personne. S’il fait quelque chose de mauvais dis-le moi je saurai quoi faire. Si en le frappant quelque chose lui arrive, est-ce que cette personne va supporter. On ne touche pas à mes enfants même leurs enseignants savent cela », a-t-elle souligné. Interrogée sur la question, Immaculée Agangla, une élève a affirmé, « Mon maître nous tape quand on ne fait pas les exercices, moi ça me fait mal, donc je fais mes exercices avant d’aller à l’école…».

Amirath Salifou élève au Lycée Mathieu Bouké a expliqué que déjà au cours secondaire, les élèves ne sont pas soumis au châtiment corporel mais les éducateurs (professeurs, censeur, surveillants et directeur) la plupart du temps donnent des heures afin de réduire leur conduite, ce qui agit sur la moyenne semestrielle.

Les méthodes pour contraindre les élèves à obtempérer 

Même si la punition physique qu’inflige l’enseignant à l’apprenant vise à modifier son comportement ou l’appeler à plus de sérénité et d’engagement au travail, il est tout de même traumatisant pour ce dernier. Il n’est donc pas nécessaire à l’enseignant de faire usage du châtiment corporel à des fins pédagogiques ou disciplinaires. C’est dans ce sens que le psychologue et spécialiste en sciences de l’éducation et de la formation, docteur Bidossessi A. Land Gnahoui estime qu’il y a des alternatives appelées « Discipline positive » qui sont susceptibles de contraindre d’une manière ou d’une autre les enfants à obtempérer et à mettre en exécution les consignes qui lui sont données. Selon la Convention against Torture Initiative 2021 (Cti), « pour la mise en œuvre des disciplines positives, les parents, les enseignants et autres acteurs du système éducatif doivent se faire guider par quatre principes interdépendants qui sont entre autres, d’identifier des objectifs éducatifs à long terme, d’apporter chaleur humaine et structure, de comprendre comment les enfants pensent et vivent leurs émotions et d’adopter une attitude positive face aux problèmes ». Outre ces mesures précitées, le règlement intérieur en vigueur dans les enseignements maternel et primaire prévoit aussi, « des mesures dont l’enseignant peut faire usage. Parmi celles-ci, on peut citer la mise en garde, les échanges avec l’écolier, la présentation d’excuses par le fautif, le recours aux parents, la restitution de l’objet volé ou la vérité, la retenue, la copie en plusieurs exemplaires pour les exercices mal faits ou leçon non sue et la suspension selon la gravité de la faute commise ». Ainsi, au vue de toutes ces mesures, l’interdiction du châtiment corporel ne doit pas être un prétexte justifiant une prise de distance vis-à-vis de son apprenant. L’enseignant est donc tenu de faire usage des mesures alternatives afin de garantir à tous les enfants une classe sans peur où la discipline individuelle est promue par tous. C’est ce que veut exprimer l’institutrice Bérénice G. quand elle affirme, « quand je commence le cours c’est rien que du bavardage, il suffit que je soulève mon petit bâton tout le monde se range. Donc il y a des stratégies. Il revient à l’enseignant d’étudier ses élèves et de les connaître. Il ne s’agit pas de commencer par fouetter les élèves. On peut, pourquoi pas, proposer des cadeaux ou prendre la chicotte pour influencer, histoire de les ramener à l’ordre ».

Les conséquences du châtiment corporel

Selon le psychologue Bidossessi A. Land Gnahoui, le châtiment corporel a des répercussions négatives dans l’immédiat et à long terme que sont, « les dommages physiques directs, entraînant parfois des dommages graves, l’infirmité à long terme ou la mort, les problèmes de santé mentale, parmi lesquels des troubles du comportement et des troubles anxieux, la dépression, le désespoir, la faible estime de soi, l’automutilation et les tentatives de suicide ». A cela s’ajoute, «  la dépendance à l’alcool et aux drogues, l’agressivité et l’instabilité émotionnelle, qui se poursuivent à l’âge adulte, l’altération du développement cognitif et socio-émotionnel, des dommages dans le domaine de l’éducation, notamment l’abandon de la scolarité, la difficile intériorisation morale et un risque accru de comportement asocial, l’augmentation de l’agressivité chez l’enfant, les comportements violents, antisociaux et délictueux à l’âge adulte et les difficultés dans les relations ». Le psychologue et spécialiste en sciences de l’éducation a invité les acteurs du système éducatif à développer les compétences susceptibles de favoriser la connaissance des enfants. Car, à l’en croire, c’est à ce seul titre qu’ils pourront s’ouvrir à eux afin que leurs conseils et actions éducatives ou pédagogiques aboutissent véritablement au grand bonheur de l’école et des familles.

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