RECOURS DES AUTORITES AUX FORCES MYSTIQUES AU BENIN : Dans les profondeurs invisibles des pouvoirs

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Accéder à un poste de responsabilité est l’ardent désir de tout homme. Ainsi, au Bénin, en dehors des préparations intellectuelles, matérielles et morales qu’exige chaque poste de responsabilité du bas de l’échelle au sommet, d’autres formes de préparations sont souvent notées chez la plupart des aspirants à certaines charges surtout publiques. Ces préparations qui se font en amont comme en aval à l’accession au pouvoir, consistent le plus souvent en un recours aux forces surnaturelles ou mystiques. Ce fait est presque généralisé au vue de certaines réalités propres à la société béninoise.

Edouard ADODE

« Le pouvoir, c’est Dieu qui le donne ». Cette portion de phrase est connue de tous au Bénin comme en Afrique en général. Ainsi, dans la conscience des uns et des autres, le pouvoir n’est pas en premier lieu une résultante des compétences ou de l’intelligence de l’individu mais plutôt un fait qui se réalise à partir d’une force surnaturelle. Cette manière de concevoir le pouvoir est intimement liée à la culture africaine en générale et celle béninoise en particulier. Yantibossi Tchansi professeur de sociologie à l’Université de Parakou explique, « c’est une affaire de culture parce que en Afrique, n’avait pas le pouvoir qui veut mais qui peut. D’ailleurs le pouvoir en lui-même est mystique et celui qui a le pouvoir est considéré comme quelqu’un qui a un certain nombre d’énergies mystiques qui l’entourent et ils étaient des gens qui détenaient des puissances mystiques auxquelles, ils devraient en recourir ». Le sociologue déduit donc « quand on voit un notable ou une tête couronnée, on pense immédiatement à ses puissances et non au pouvoir lui-même ». Pour avoir été candidat aux dernières élections communales, le professeur d’université dit avoir reçu assez d’offres allant dans ce sens et venant de personnes proches de lui. Cette manière de voir la chose est bien partagée par le métaphysicien Damien Hounto alias maître Aleph pour qui, même pour être un bon père de famille, il faut assoir son autorité sur une force invisible.

Quelques préparations spirituelles

Ce comportement est aujourd’hui généralisé et même devenu un réflexe pour tous, que ce soit pour ceux qui sont dans les religions traditionnelles ou pour ceux qui fréquentent les religions révélées. « Le comportement est presque le même parce qu’au moment où on se voit investir d’un pouvoir, on voit que c’est un poids ou une charge. Maintenant ici, on cherche l’aide de Dieu pour bien porter cette charge-là en priant et en jeûnant », a reconnu le révérend pasteur Olivier Lokossou. Il étaye sa thèse par quelques exemples bibliques, « même Jésus après son baptême est allé jeûner pendant 40 jours avant de continuer sa mission. De même, lorsqu’un sacrificateur ou un roi est investi, il est consacré soit par imposition des mains afin d’invoquer le Saint Esprit pour l’accompagner ou soit par onction ».
Dans les religions traditionnelles, cette préparation se présente sous plusieurs formes. Abel Dossoukpèvi alias Hounnon Gbeffa apporte quelques détails, «  si la personne aspire à un poste de haute responsabilité, on la prépare d’abord en l’aidant à accéder à ce poste. Ainsi, suivant les directives du Fâ, on peut lui faire un bain rituel pour lui enlever la poisse, ou lui demander de faire quelques sacrifices indiqués par l’oracle pour plus activer son aura. Ainsi, si c’est par nomination, ces rituels permettent à celui qui veut nommer d’avoir son regard sur cette personne qui désire être nommée parmi tant d’autres puisque c’est la concurrence ; ou soit si c’est par élection, des rituels peuvent être faits pour que la personne gagne l’estime des populations ». Ce dignitaire des religions endogènes a même souligné qu’il y a des fois que l’oracle peut refuser à quelqu’un de désirer tel ou tel autre poste. Il ajoute, « quand la personne accède maintenant au poste en question, elle doit faire d’autres rituels pour affermir son autorité et pour se protéger contre les attaques des jaloux. C’est en ce moment qu’on va jusqu’à enterrer certains gris-gris dans le lieu de travail ou préparer le fauteuil que la personne va utiliser ».
Si d’aucun pense que ce phénomène est typiquement propre à l’Afrique, le révérend Olivier Lokossou quant à lui attire les attentions en rectifiant qu’« en Europe, ceux qui ne connaissent pas Dieu, arrivés à un certain niveau sont obligés de faire recours aux sectes. Ils sont dans des loges pour chercher des pouvoirs ».

Du revers de la médaille

Pour beaucoup de personnes, autant l’impréparation spirituelle a de graves inconvénients, autant certaines préparations mystiques comportent de graves dangers. « Dans les années 90, j’ai été affecté à la tête d’une école dans une commune du centre Bénin. Étant un jeune instituteur bien diplômé, je ne comptais que sur mes compétences. Alors, je suis allé prendre service et revenir à Parakou chercher ma petite famille. Mais le lendemain de mon retour à Parakou, c’est mon fils aîné âgé de 9 ans qui est décédé mystérieusement. Finalement, j’ai rejoint mon poste dans le village où je suis affecté mais avant la fin de cette année scolaire, j’ai été paralysé. Et c’est quand mes parents sont sortis avec moi que celui qui me soignait à révéler que le directeur que je suis allé remplacer ne voulait pas partir. C’est par la suite que j’ai appris que mon prédécesseur est le fondateur de l’école et voulait prendre sa retraite là puisque l’école est devenue une référence dans le milieu et avec assez de bâtiments bien construits », témoigne Illiassou Bio Séro instituteur à la retraite.

Quant au sociologue, bien que la pratique soit presque généralisée, elle rend dépendant celui qui s’y adonne. « Psychologiquement vous êtes dépendant, ainsi au lieu de chercher à s’affirmer par ses compétences ou par des arguments valables, cette personne fait tout pour rendre tout le monde ‘’mouton’’. On rend tout le monde bête parce qu’on veut à tout prix sauver son poste ou son mandat », a fait remarquer le professeur Yantibossi Tchansi avant d’insister sur le fait que ce comportement ne permet aucunement le développement.

De son côté, Hounnon Gbeffa s’insurge contre ceux qui font recours à ces forces mystiques afin de créer un quelconque problème à l’autre pour accéder à son poste. Puisqu’il a fait savoir que de tel comportement coûte à la fin cher à ses auteurs qui n’arrivent pas à jouir pleinement des fruits de ce poste auquel ils sont parvenus par une force nuisible. Pour le pasteur Lokossou, le mieux est de chercher en Dieu ce soutien surnaturel dont on a tous besoin pour bien faire que d’aller vers les forces occultes.
Ainsi donc, d’une manière ou d’une autre, tout aspirant à un poste de responsabilité fait forcément recours à une force surnaturelle selon sa croyance pour y parvenir ou pour y rester le plus longtemps possible. Cependant, la raison doit être la boussole de chacun afin de ne pas tomber dans l’intolérable.

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