SACRIFICES SUR LES CARREFOURS AU BENIN
Des rites qui écornent l’image des grandes villes
Les villes du Bénin sont en plein essor de modernisation surtout avec la pression démographique à laquelle elles sont soumises. Cependant, il n’est pas rare de constater au niveau des carrefours de certaines rues des objets hétéroclites issus des rites sacrificiels déposés nuitamment à ces endroits à l’insu de tout regard. Ces sacrifices, bien qu’ils permettent à ceux qui y croient d’obtenir la solution à un problème d’ordre spirituel, présentent au même moment sur l’environnement et sur les populations de graves conséquences qui vont au-delà de leurs aspects répugnants.
Edouard ADODE
Canaris cassés, calebasses remplies de mets, nattes, bougies, éponges, biscuits, bonbons, coq ou mouton immolés. Ce sont là quelques objets hétéroclites sur la plupart des carrefours des villes et des hameaux du Bénin. Ils sont en réalité des éléments des rituels sacrificiels faits dans la nuit profonde pour conjurer le mauvais sort dans la vie d’un individu.
Représentations spirituelles des carrefours
« C’est sur recommandation du Fâ qu’on amène quelqu’un au carrefour, au bord de l’eau ou autres endroits indiqués par le Fâ selon le type de sacrifice ou selon le genre de malheur qui poursuit l’intéressé pour un bain ou un lavage de tête », a expliqué Dah Alofa Gbèdossou prêtre de Fâ. Selon ses dires, ce n’est pas par hasard qu’on choisit la place qui doit abriter un sacrifice. Il clarifie, « sur les carrefours à une certaine heure, il y a certains esprits qui viennent s’attrouper. Souvent ce sont des esprits des morts qui n’ont pas encore été recasés par leur famille, ou encore l’esprit des avortons ou encore des mort-nés communément appelés Abikou ».
Le spiritualiste Alfred Quenum abonde dans le même sens que le traditionnaliste en expliquant que certaines entités spirituelles ont spécialement des résidences fixes et pour les honorer, il faut se rendre en ces lieux. Il ajoute que « le prêtre du Fâ peut invoquer d’autres entités et leur donner rendez-vous à des lieux fixes. Ce sont souvent des entités qui n’arrivent pas à cohabiter avec les humains à cause de leur caractère parfois violent ».
La visionnaire d’une église typiquement béninoise Suzanne T. confirme, « au cours des visions, l’esprit peut révéler que pour telle situation de celui qui est venu faire la vision, il lui faut un bain sur un carrefour de trois rues ou plus. Ainsi, lors des prières avant ce bain, les mauvais esprits quittent la personne en courant. C’est après cela qu’on fait le bain à la personne pour qu’elle dépose ce mauvais sort à cet endroit là avant de rentrer pour la suite des travaux spirituels pour la sécuriser ».
Dah Alofa fait savoir que « c’est de l’odeur du sacrifice que se nourrissent les esprits qu’on cherche à apaiser. Cependant, il peut arriver que ces esprits entrent dans une bête pour recevoir le sacrifice ».
Des risques et des conséquences
Les sacrifices au niveau des carrefours se présentent parfois comme des pièges pour les passants non avertis. Mais avant les passants, le prêtre de Fâ rappelle qu’il est souvent interdit à celui qui est venu faire le sacrifice sur un carrefour de ne plus regarder derrière une fois le sacrifice fait. Si jamais ce principe est violé, ce dernier peut voir des choses horribles qui pourront le rendre fou au cas où spirituellement il n’a pas certaine maturité. « C’est pourquoi après ces genres de sacrifices, pour le retour, le prêtre se met derrière le patient », a-t-il expliqué.
Cependant, dans bien des cas, ces sacrifices constituent des dépôts d’énergies négatives qui restent en ces lieux jusqu’au passage du premier passant qui pourra ramasser ces énergies négatives. « Raison pour laquelle, ces sacrifices se font tard dans la nuit pour éviter que ce soit un être humain qui en fasse les frais. Ainsi, une bête peut facilement ramasser ces énergies et les traîner jusqu’à sa mort », a clarifié le spiritualiste.
Le sage Alexis Bossou fort de ses expériences conseille, « lorsque vous surprenez quelqu’un en train de faire un bain nocturne sur une place publique, vous devez vous arrêter et vous dirigez vers ce dernier sans lui adresser la parole et vous mettez un peu de l’eau de son bain sur votre tête. Ainsi, vous êtes sûr de ne pas rentrer avec ses malheurs ».
Le pasteur Stéphane Lokonon rejette cette manière de voir les choses et estime que « si vous ne croyez pas en ce sacrifice vous pouvez même le traverser sans que rien ne vous arrive. Moi, plusieurs fois du retour des veillées de prières, je tombe sur des situations du genre. Dans de pareilles situations, je braque les phares de mon véhicule sur la personne qui prend la tangente et j’écrase tout ce qui est sur la voie ».
En dehors du plan spirituel, au plan environnemental, ces sacrifices sur les carrefours polluent l’environnement. Puisque les débris des objets utilisés dans ces sacrifices restent des jours dans ces carrefours avec leur cortège de mouches et d’odeur nauséabonde.
Alors, compte tenu de la modernisation des villes, il va falloir que les gardiens de la tradition puissent se concerter pour revoir le mode d’administration de ces remèdes en vue de la préservation de l’image des villes béninoises.
Ainsi, il serait bien que ces sacrifices soient effectués dans les hameaux et non au cœur des villes en plein développement.