SCARIFICATION ETHNIQUE EN AFRIQUE : Cette “carte d’identité” culturelle qui se consume sous l’effet de la modernité

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A chaque peuple ses réalités et sa culture qui la différencie des autres dit-on. Ainsi en Afrique, l’une des caractéristiques qui permettait d’identifier facilement un africain, en dehors de son teint ébène, était la scarification ethnique sur son visage. Elle constituait naguère, la carte d’identité des peuples africains et un paramètre qui indique le groupe socioculturel d’appartenance de l’individu dans la société. Les scarifications ont pendant longtemps occupé une place importante dans la tradition des peuples africains au point où, les enfants qui n’en portaient pas, faisaient la risée de la communauté. Malheureusement, ce pan de la tradition qui était considéré comme sacré dans plusieurs familles africaines, est de plus en plus menacé de disparition sous l’effet de la modernisation. Toute chose qui retarde inéluctablement le développement de ce continent qui pourtant, a tout pour être heureux.

Samira ZAKARI

Orou Douarou la quatre-vingtaine environ, est un baatonu roturier originaire de la commune de Kouandé au Bénin. Il porte sur son visage notamment ses joues, deux cicatrices soigneusement tracées, qui partent des narines au menton. Cette marque qui n’a rien d’ordinaire, est appelée balafre ou scarification ethnique chez les africains. Elle rappelle les origines africaines mais aussi l’ethnie d’appartenance d’Orou Douarou dans la société.

En effet, la scarification ethnique est une forme de culture et d’art développé par les peuples africains. Elle permettait de classer les individus selon leurs ethnies ou leurs classes sociales. Aussi renseigne t-elle sur l’origine de l’individu. Dans un article publié sur son site internet, impact magazine indique que selon la tradition Moose, les scarifications seraient apparues au Nord du Ghana. Au Bénin, ces balafres permettaient d’identifier les membres d’un clan, au cours des guerres et des conflits. Elles se pratiquaient également pour échapper à l’esclavage, à partir du XVle siècle. Selon le docteur Emmanuel Sambiéni, les scarifications ont pour rôle, « d’identifier les membres d’un groupe ». De même, dans une interview accordée au journal Fraternité en 2014, le professeur Botchi, socio-anthropologue à l’Université d’Abomey Calavi (Uac) affirme, « quand vous naissez dans telle ethnie, vous portez telle marque sur le corps. Cela s’impose, puisque l’enfant n’a pas le choix ». Ainsi au Bénin, il existe une diversité de scarification dont la signification varie d’une ethnie à une autre ou d’uje famille à une autre.

De la diversité au sens des balafres au Bénin

Le Bénin est l’un des pays de l’Afrique de l’Ouest qui impressionne par sa diversité ethnique soit au total 46 ethnies officiellement reconnues selon les informations reçues sur le site culturel https://www.benin.ca. A chaque ethnie, un type de scarification qui la différencie des autres. « Chez nous les yorubas, nos balafres sont différentes de celles des baribas ou même des fons. Quand tu vois une personne qui porte des balafres bien épaisse, tracées de façon horizontale sur les joues, on sait qu’il est yoruba. Certains yorubas portent même sur chaque joue, trois grosses balafres verticales. Quand vous allez chez les peuples ‘’Mandè’’ présents au Nord du Bénin et qui sont issus de l’ethnie haoussa du Nigéria et du Niger, ils sont scarifiés sur la joue. Il y en a par contre qui porte l’incision sur le front. Les balafres sur la joue sont tracés de façon verticale, de la tempe jusqu’à la limite de la bouche », a précisé Yves Olunshégun, père de famille résident à Parakou. Le roi de Wansirou à Parakou, Sanrigui Chabi de son coté, explique, « chez les baatonu, quand vous voyez une personne qui porte deux balafres sur ses joues et qui partent des narines jusqu’au menton, c’est un vrai baatonu. Partout où ce dernier va, on sait qu’il est un baatonu. C’est ce qui permet de l’identifier ».

Par ailleurs, outre les balafres ordinaires qui sont réalisées pour catégoriser les individus selon leurs ethnies, il y en a dont la signification varie d’une famille à une autre. C’est ce qu’explique le roi de Wansirou en ces termes, « si dans une famille, la maman accouche et les enfants meurent à chaque fois, on peut décider après consultation des ancêtres, de lui faire une balafre au niveau de la joue gauche pour arrêter les morts répétées. C’est ça on appelle ‘’Abikou’’». De même, l’enseignant au département de Sociologie-Anthropologie à l’Université de Parakou (Up) Emmanuel Sambiéni indique, qu’il arrive qu’on décide de scarifier une personne pour des raisons thérapeutiques ou pour répondre à une exigence de la tradition. « Quand j’étais petite, je tombais fréquemment malade. Ainsi, mes parents m’ont fait ces deux balafres au visage pour que j’aille mieux », a confié Zinatou T. En dehors des fonctions énumérées précédemment, les scarifications sont considérées comme signe de franchissement d’une étape de la vie dans certaines sociétés.

Vu le caractère sacré détenu par cette pratique, elle était réalisée uniquement par les gardiens de la tradition au sein de chaque société ou par un sage de la famille. Elle se pratiquait à partir de divers instruments qui sont conservés et sortis seulement pour la circonstance.

Technique de pratique de la scarification

Généralement, la scarification ethnique se fait aux enfants dès le bas âge afin de leur permettre de porter les marques du groupe ethnique auquel ils appartiennent et d’être facilement identifiables. Elle était pratiquée par des personnes qui incarnaient respect et considération au sein de la société. Aussi faut-il faire montre d’un courage incontestable pour la réaliser. « Divers instruments notamment les pierres, les verres ou même des couteaux sont utilisés pour réaliser l’incision. Une fois l’incision réalisée, il y a un produit, très souvent une poudre qui est appliqué dessus selon le cas. S’il s’agit d’une balafre réalisée pour traiter un mal, il y a un produit pour ça qui est différent de celui appliqué pour une scarification identitaire. Cependant, tout le monde n’est pas habileté à le faire. Dans la famille, il y a forcément un sage qui connait bien l’histoire de votre famille. C’est lui qui devient le scarificateur et se charge de conserver cette tradition au sein de la famille. », a expliqué Orou Douarou, sage résident au quartier Swinrou de Parakou. Il ajoute par la suite, que la balafre est une marque que l’individu porte à vie. Elle ne se supprime jamais. La scarification fait partie intégrante de la tradition africaine. Mais force est de constater que ce riche patrimoine est en train d’être abandonné par les africains, et fait objet de controverse sous l’effet de la modernité.

Une tradition qui se meurt

Il n’est d’ombre d’aucun doute que la scarification est une pratique qui fait face au diktat de la modernisation. Aujourd’hui, les africains prennent du plaisir à mettre de côté ce pan de leur culture identitaire. Certains prennent même du plaisir à la traiter de barbare. Les quelques personnes qui portent encore des balafres sur leur visage ont honte de s’exposer en public de peur d’être vues comme des êtres différents. C’est le cas de Germain N’dah qui vit aujourd’hui ces scarifications comme un poids. « D’autres trouvent joli mes scarifications. Mais moi, je les trouve plutôt laides, j’ai honte de me montrer en public avec ça. Voilà pourquoi j’ai renoncé à le faire à mes enfants. Ça n’en vaut pas la peine », a-t-il confié avec plein de regrets. Grégoire Adjovi, étudiant à l’Université de Parakou abonde dans le même sens que son prédécesseur et explique, « on a pas besoin de s’inciser le visage pour montrer notre appartenance à un groupe ethnique. Cette tradition est révolue et doit être interdite à mon avis ». Mais aussi banale que cela pourrait paraître, le rejet de cette tradition propre aux africains peu avoir des conséquences désastreuses et souvent irrémédiables.

Quid des conséquences  

A en croire Orou Douarou, un fervent défenseur de la tradition, il est impossible que les africains se départissent de la scarification parce qu’elle fait partie d’eux. Et tenter de le faire, c’est s’exposer à un grave danger. Un raisonnement qui est corroboré par Dankoro Séké Yérima, enseignant à la retraite, qui se rappelle encore comme si c’était hier de cet épisode triste de sa vie lié à cette tradition. « Je porte sur mon visage des balafres que j’ai eu depuis tout petit. Quand je suis devenu père de famille, mes occupations professionnelles ne me permettaient pas d’aller au village. Ce qui fait que mes enfants ne portent pas ces balafres comme moi. Laissez-moi vous dire que ça n’a pas été facile, j’ai été affecté par certains événements dans ma vie que je n’arrivais pas à expliquer. C’est finalement ma maman qui a consulté les sages et m’a fait savoir que c’est les scarifications que je ne portaient pas mes enfants, qui étaient à l’origine de tout. Il y a un que cela a retardé dans les études pourtant, il était brillant. L’autre tombait régulièrement malade. Finalement, les enfants ont été conduits au village pour certaines cérémonies avant que tout ne rentre dans l’ordre », a-t-il témoigné.

La culture est ce que chaque peuple à de plus cher et qui peut être vendu. Alors, il faille que les africains renouent avec leur tradition qui les rend spécial et unique au reste du monde.

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