SERVEUSE DE BAR:
Un métier, trois salaires
Le monde actuel connaît un essor démographique où la question du chômage devient de plus en plus préoccupante. Avoir accès à un travail rémunéré et décent devient chose rare. C’est ainsi que certaines personnes pour survivre s’adonnent à des petits métiers de débrouille comme celui des serveuses de bars. La majorité, des filles s’adonnant à ce métier n’en sortent pas sans séquelles. Autant le métier de serveuse de bars a ses risques, autant il contient des avantages. C’est l’un des rares métiers qui donnent accès à plusieurs salaires. Les filles qui exercent le métier de serveuses de bars, se retrouvent généralement à trois salaires.
Barnabas OROU KOUMAN
Durée de travail trop longue, salaire bas, exposition aux brimades et harcèlements sexuels, objet de risée de la population et plein d’autres sont le quotidien des serveuses de bar. Malgré ces traitements, nombreuses sont les jeunes filles ou femmes, majeures parfois mineures qui embrassent ce métier. Autrefois exclusivement exercé par des étrangères notamment les togolaises, aujourd’hui il n’est pas rare de voir des béninoises intégrer le métier de serveuse de bars. En quête d’un mieux-être, elles sont souvent recrutées par les propriétaires de bars à la faveur d’un simple entretien verbal, sans aucun contrat écrit.
Trois salaires pour un seul métier
La serveuse de bar comme tout autre travailleur a droit à un salaire que lui paye son employeur. Il s’agit du salaire légale connu de tous et négocié entre l’employeur et son agent. Ce salaire est perçu par mois conformément à l’accord généralement verbal établi entre les deux parties.
Le second salaire de la serveuse de bar est le pourboire. Il s’agit là des reliquat que donnent les clients aux serveuses en signe de reconnaissance ou d’encouragement. Il vari d’un client à un autre et d’une journée à une autre. La consistance des pourboires dépend de la fréquentation du bar et de l’accueil de la serveuse. Le pourboire ne fait l’objet d’aucun compte-rendu ni au gérant encore moins au promoteur du bar.
Le troisième salaire de la serveuse est celui lié de ses relations avec ses clients. En effet, dans la pratique de leur métier, les serveuses de bars font objet de convoitise très poussée de la part de leurs clients. Plusieurs hommes ne tardent pas à faire des avances aux serveuses pour ne serait-ce que pour passer une seule nuit avec elles. Ils font usage des billets de banque pour avoir ces jeunes filles et femmes qui souvent se laissent désirer de part leurs habillements très sexy et provocateurs. Généralement, c’est le plus offrant qui l’emporte. D’où le troisième salaire.
Serveuse de bars, seul rempart pour gagner sa vie ?
Pour le sociologue Dr Abou-Bakari Imorou, enseignant chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi, «…si on prend le cas des jeunes filles de la Donga, à un moment donné elles sont appelées à participer à la mobilisation des trousseaux de mariage donc il y en a qui vont travailler dans les maisons et d’autres se retrouvent pas les bars pour acquérir des ressources pouvant leur permettre de réaliser ce projet de vie ». « J’ai fait une formation en auxiliaire de pharmacie et j’ai déposé les dossiers, mais aucun signe d’abord. Pour ne pas rester à la maison, je fais cela d’abord », se confie Love, serveuse de bar à Parakou. Il apparaît clairement que le métier de serveuse de bars est embrassé pour répondre aux besoins de survie. Ce travail apparaît pour ces filles, comme la seule voie pour gagner leur vie.
Un mauvais traitement au mépris de la réglementation
A peine le salaire verbalement fixé allant de 15 000 à 30 000 francs Cfa difficilement payable, qu’elles deviennent taillables et corvéables à merci. « On nous paie mais parfois on fait deux mois sans être payé et là on est obligé de compter sur les pourboires », a confié Simone Akey, une serveuse de bar à Parakou.
Conformément au décret numéro 98-368 du 04 septembre 1998, le personnel autre que les cuisiniers dans les hôtels, restaurants et débits de boissons devraient travailler 48 heures par semaine mais malheureusement au Bénin, les serveuses de bars vont habituellement au delà de 72 heures de travail par semaine sans aucune mesure de paiement des heures supplémentaires. « Je commence mon service à partir de neuf heures et je finis avec le départ du dernier client », a affirmé Happy Katakiti une serveuse. Il arrive cependant que le dernier client quitte les lieux parfois à cinq heures voir six heures du matin obligeant ainsi les serveuses à travailler au delà de leurs heures de service. D’une part, elles sont exposées aux avances des promoteurs ou même des gérants et en cas de refus elles subissent les représailles physiques et morales de ces derniers allant jusqu’à se faire priver du maigre salaire pendant des mois. Les propos de Françoise le témoignent, « j’ai quitté le bar X parce que le patron voulait que « je couche avec lui » comme il fait avec les autres et quand j’ai refusé il m’insultait à longueur de temps et même m’a giflé un jour. C’est là j’ai quitté». Sans ambages, Malick un promoteur de bar confirme, « c’est normal c’est là où on attache le mouton qu’il broute, ces filles sont parfois irrésistibles ». Certaines finissent par céder à leurs risques et périls.
Des victimes de leur ignorance
Il est à noter que c’est la méconnaissance des textes qui occasionne les conflits entre ces serveuses et leurs employeurs. Non seulement que les employeurs ignorent les textes mais les filles elles-mêmes ne connaissent également pas les voies de recours légales dont elles disposent pour revendiquer leurs droits. Fataou Raïmi, Secrétaire Général du syndicat national des employés d’hôtels et de maison du Bénin, affilié à la Csa confirme, « ce service n’est pas organisé. De nombreuses filles venant des coins reculés comme le Togo, le Ghana, ne connaissent pas l’existence de notre syndicat ».
Des clients vicieux qui se croient tout permis
Des clients se targuant d’être « rois » ne cachent guère leurs intentions de faire de ces dernières des objets de leurs soifs sexuels. Ainsi les parties sensibles des corps de ces serveuses deviennent des zones à explorer par les doigts de certains clients vicieux. Ainsi, le témoigne les propos de Aïcha Osseni une serveuse, « certains clients nous touchent les seins et les fesses pendant qu’on sert et on ne peut pas refuser sinon ils ne reviendront plus ». Ceux qui tiennent à aller au bout de leurs désirs sont obligés d’attendre jusqu’à des heures indues devenant ainsi des Derniers Clients communément appelés « Dc ». Ces relations nées sans précautions aboutissent parfois à des relations sérieuses dans certains cas. C’est ce qui fonde les préjugés que fait la société sur ce métier.
Serveuses de bars ou prostitués ?
En effet pour la grande partie de la population, être serveuse est égale à être prostitué comme le précise les dires de Moussa Taïrou, habitant de Parakou, « on dit qu’elles gagnent en général 20 000 à 30 000 francs Cfa par mois. Si elles ne vendent pas « le cul », comment arrivent-elles à joindre les deux bouts? Voyez un peu leur train de vie ». Les propos de Yanick, une serveuse, semblent donner raison aux dires de Moussa Taïrou, « moi j’ai quitté mon pays pour chercher l’argent alors pourquoi ne pas utiliser ce que Dieu m’a donné ? », s’est-elle interrogée. « Si un homme vient et demande ça, s’il y a l’argent il n’y a pas de problème » poursuit-elle avant de conclure, « je m’en fou de ce que les gens disent sur moi que je suis prostitué ou quoi, en tout cas ça ne m’empêche pas d’avoir mon argent ». Voilà des propos et comportements qui confirment, à raison, certains préjugés de la population qui portent un regard qui incrimine et stigmatise toute la communauté des serveuses de bars.
Même si ce fait semble avéré dans ce métier, il n’en est pas moins vrai qu’il y a parmi ces serveuses certaines qui sont irréprochables, elles font strictement leur travail et s’habillent décemment. C’est le cas de Love qui affirme, « je sais ce que je cherche ici. Je ne suis pas venu pour ça, quelque soit le montant qu’un homme me propose pour ça moi je refuse ».
Pourtant des acteurs économiques à reconnaitre à juste titre
Les serveuses de bar méritent bien une considération de la société. C’est ce que l’on est tenté de dire avec les explications de Israël Gouroubera, inspecteur de travail à la direction départementale du travail et de la fonction publique Borgou-Alibori. Selon lui, ces filles devraient bénéficier des mêmes droits et prérogatives que les autres travailleurs. A cet effet, il affirme « c’est des travailleurs comme les autres seulement que par rapport à leur secteur, la loi a prévu certaines règles à respecter ».
Par ailleurs les serveuses participent au développement économique du pays. Celles-ci travaillent en effet pour des entités économiques qui à leur tour participent à l’économie nationale.
Une visibilité du syndicat, une organisation du secteur, une vulgarisation des textes, et une bonne application du code de travail, s’imposent pour que les serveuses de bars retrouvent leur dignité et jouissent pleinement de leur droit car, comme on le dit, le travail met à l’abri des vices.