SOUVERAINETE MONETAIRE EN AFRIQUE : L’Eco et le Franc Cfa, même père même mère ! .« …arrimer l’Eco à l’Euro ne favorise pas la libre convertibilité de cette nouvelle monnaie avec le Dollar et les autres monnaies », pense l’économiste Amine Alassane

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Amine Alassane, économiste
Le gouvernement français a entériné la fin du franc Cfa en Afrique de l’Ouest dans un projet de loi adopté le mercredi 20 mai dernier en conseil des ministres. Ce texte valide la transformation du franc Cfa qui deviendra l’Eco en maintenant la parité fixe avec l’Euro, ainsi que la fin de la centralisation des réserves de change des Etats d’Afrique de l’ouest auprès du Trésor français, conformément à l’accord conclu fin décembre entre la France et les Etats de l’Union monétaire ouest-africaine. Cette décision suscite des réactions au sein de l’opinion nation et de la sous-région. Dans un entretien accordé à votre rédaction, le doctorant en économie Amine Alassane fait une analyse de la question et fait savoir que la conservation de la parité fixe de la nouvelle monnaie Eco avec l’Euro, rend pratiquement sans effet majeur la nouvelle décision de la France. Il note tout de même une lueur d’espoir. Lisez plutôt.

Wilfried AGNINNIN

Daabaaru : Quelle analyse faites-vous de la dernière décision du gouvernement français par rapport au franc Cfa ?

Amine Alassane : Cette décision du 20 mai 2020 qui entérine la fin du franc Cfa en Afrique est une décision qui ne changerait pratiquement rien de par sa forme. Elle était d’ailleurs annoncée pour la première fois depuis le 21 décembre 2019 suite à l’arrivée du Président Macron à Abidjan. Elle n’améliorera en aucun cas la performance de la nouvelle monnaie Eco par rapport à l’ancienne (F cfa). Même si elle met fin à la centralisation des réserves de change des Etats d’Afrique francophones, elle ne pourra pas améliorer d’une manière significative le bien-être des citoyens à la base. Le fait de conserver la parité fixe de la nouvelle monnaie (Eco) avec l’Euro, rend pratiquement sans effet majeur cette nouvelle décision. En plus, arrimer l’Eco à l’Euro ne favorise pas la libre convertibilité de cette nouvelle monnaie avec le Dollar et les autres monnaies de référence mondiale comme la Livre-sterling, le Yuan et bien d’autres. Donc en sommes, cette décision est une façon d’appeler une mère, maman. Alors rien de nouveau sous le soleil. La nouvelle monnaie continuera toujours d’être imprimée en France. Le seul changement du nom est peut-être une concrétisation du rêve des panafricanistes partisans de l’abandon du franc Cfa.

Qu’est-ce qui va changer concrètement ?

Les changements majeurs sont : le changement du nom de la monnaie du franc Cfa à l’Eco ; l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor et la fermeture du compte d’opération et enfin, le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de l’Uemoa.

Quelles sont les chances pour que cette réforme historique de la coopération monétaire entre la France et les États africains, puisse aboutir afin d’écrire une nouvelle page de notre histoire ?

Les chances d’aboutissement de cette nouvelle réforme monétaire sont très minces. Du moment où la réforme ne prend en compte pour l’instant que les huit (08) pays de l’Uemoa, elle ne pourra résister pendant longtemps dans un environnement où le Naïra et le Cédis sont des monnaies soutenues par les grandes économies de la zone Cedeao. Cette nouvelle réforme sera seulement perçue comme un simple changement de nom pour presque tous les africains francophones. En plus les exigences faites par le Nigeria et le Ghana afin d’utiliser l’Eco laissent dubitatifs sur l’avenir de cette nouvelle réforme. Une réforme qui se veut être de l’espace Cedeao et excluant le Nigéria et le Ghana est un échec d’avance. En outre, l’opacité complète qui entoure les différentes étapes du projet (comme le régime de parité fixe de l’Eco, le statut de la banque centrale commune), n’est pas de nature à inspirer la confiance et l’adhésion des citoyens.

Selon vous, quels sont les paramètres pour qu’une monnaie commune ouest-africaine voit le jour ?

Les paramètres pour qu’une monnaie commune ouest-africaine voit le jour sont pratiquement les étapes les plus élémentaires dans l’instauration d’une monnaie commune. Ainsi, on citera : la libéralisation des mouvements des capitaux entre les pays de l’Afrique de l’Ouest ; la réalisation des études permettant de sonder les entrepreneurs et les ménages et ainsi les préparer à la transition ; l’utilisation d’une Unité de Compte Commune (Ecu) par les acteurs économiques de l’espace ouest-africain et la création d’une Banque Centrale Ouest-Africaine et la mise en vigueur de ses statuts spécifiques sur son indépendance et son fonctionnement.

La nouvelle monnaie Eco est annoncée pour le 20 juin prochain, à moins d’un mois, pensez-vous que cela pourrait être une réalité ?

La création d’une nouvelle monnaie Eco serait très difficile voire impossible de se réaliser le 20 Juin prochain compte tenu des lenteurs administratives qui caractérisent souvent les pays africains en général et ceux de l’Afrique de l’Ouest en particulier. En plus, il faut noter la réticence même de certains pays de l’Uemoa à rejoindre cette tribulation monétaire où quelques points leurs sont encore flous. Selon certaines indiscrétions, le rôle de pionnier joué par la Côte d’Ivoire semble inquiéter quelques chefs d’Etat de l’espace Uemoa. Dans cette atmosphère de méfiance au niveau de ceux qui sont les premiers acteurs de la réforme monétaire, il faudra donc attendre voir la circulation de quelques billets griffés « Eco » le 20 juin prochain (soit moins d’un mois) pour vraiment y croire.

Votre mot de la fin ?

Il est vrai que cette décision de mettre un terme à l’usage du F cfa (perçu comme un héritage colonial) dans les pays de l’Afrique de l’ouest est déjà un satisfecit pour les panafricanistes qui ne veulent plus entendre parler de cette monnaie. En outre, de par les changements majeurs que cette nouvelle monnaie (Eco) apporte, il peut y avoir une petite lueur d’espoir. Seulement quand on observe les conditions de sa mise en œuvre (régime de parité fixe par rapport à l’Euro, refus du Nigéria et du Ghana à utiliser cette monnaie pour le moment comme étant une monnaie nationale, absence d’une libre convertibilité de l’Eco, …), il y a lieu de craindre pour l’avenir. Si au début, le projet était porté par tous les 15 pays de la Cedeao et au final seuls les 08 pays de l’Uemoa débuteront la nouvelle aventure, il y a donc lieu de réfléchir sur les dessous de cette réforme monétaire. Cependant, il faudra encourager la poursuite de la réforme et permettre à ce que les autres pays de la Cedeao rejoignent la barque afin que le régime de parité flexible entre l’Euro et l’Eco devienne une réalité un jour.

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Daabaaru