UNE VIE UN METIER : Amadou Adam parle de sa carrière d’ancien infirmier d’Etat

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Surnommé «l’infirmier qui fait bouillir les selles et les urines » par les jeunes filles de Banikoara, l’ancien infirmier d’Etat Amadou Adam a sauvé des vies pendant 41 ans avant sa retraite. Il a passé 12 ans et 29 ans respectivement en tant qu’infirmier d’Etat et dirigeant du programme de lutte contre l’onchocercose. Il fait  aujourd’hui la fierté de la nation béninoise et l’exemple idéal pour le corps médical. Après 9 ans de retraite, Amadou Adam à travers la rubrique « une vie, un métier », fait le récit des moments forts de sa carrière.
Huguette LAWANI (Stg)

Daabaaru : Pourquoi avez-vous choisi de faire carrière dans le domaine de la santé ?

Amadou Adam : Je dirai d’abord qu’en notre temps quand on finissait les études, on avait plusieurs choix, ce n’est pas comme aujourd’hui où le marché de l’emploi est tellement difficile. Alors, si j’ai choisi le domaine de la santé, c’est parce que mon père a été un grand guérisseur, il a fait de la médecine traditionnelle. Il est reconnu non seulement au Dahomey l’actuel Bénin, mais aussi dans d’autres pays. C’est alors cette vocation de bas-âge que j’ai réalisée.

Comment avez-vous donc intégré le domaine de la santé ?

J’ai passé le concours en 1968 pour devenir infirmier d’Etat. Il faut dire que j’ai passé deux concours à la fois, celui d’entrer à l’école de formateur des instituteurs et le concours d’entrer a Institut National Médicaux Sociales (Inimes). J’ai réussi aux deux concours, et comme j’avais la vocation pour le corps médical, j’ai alors choisi l’Inimes. Après ma réussite au concours, j’ai fait une formation, puisqu’en 1968, il n’y avait pas la faculté de médecine et il y avait une pénurie du personnel médical, ce qui a fait qu’au lieu d’une formation de trois ans, nous avons reçu une formation accélérée de deux ans. Cette formation sanitaire qui se faisait au niveau des communes était dirigée par les infirmiers d’Etat qu’on appelait chargés de la circonscription médicale ou chargés de la Cm.

Comment ont été vos débuts dans le métier ?

Bon, le début du métier, je peux dire que, lorsque nous étions sortis de l’école de formation en 1970 avec nos diplômes, c’est le ministère qui nous a rappelés puis dispashés en fonction du besoin de tous les coins du territoire. Et directement on est nommé infirmier d’Etat dans cette circonscription où on était envoyé. Moi, particulièrement j’étais envoyé à Banikoara avec deux autres de mes collègues. C’était en octobre 1970, l’année où l’hôpital actuel de Banikoara était presqu’à la fin de la construction. On arrive on prend service, c’était la gaité parce que je suis jeune, j’ai un emploi et on a été accueilli à bras ouverts par les anciens fonctionnaires du coin de Banikoara, puis on nous a installé. Au point de vue service, on avait des devanciers qui étaient là et il fallait avoir l’humilité de les regarder faire malgré nos compétences de 2 ans de stages. Nous avons eu la chance de trouver sur le terrain des gens qui sont déjà pétris dans le domaine, il fallait simplement suivre les traces, et c’est d’ailleurs ce que nous avions fait.

Quels sont les avantages de votre métier ?

Quand je vois ceux du domaine de la santé aujourd’hui, ma première question à leur endroit, c’est de savoir s’ils ont réellement choisi de faire carrière dans le domaine de la santé. Et comme réponse, je leur dis qu’ils ont choisi de ne pas être riches. C’est pour dire par là, que le métier de la santé, ce n’est pas un métier qui enrichit son homme en notre temps, peut-être qu’a l’heure actuelle il y a eu d’amélioration. C’est un métier de vocation qui a pour avantage, les avantages moraux et non matériels. Je m’explique, vous avez soigné un malade et puis deux mois voire trois mois après, au marché ou dans la rue ou dans une place publique, quelqu’un vous appelle, une personne qui vous semble inconnue vous tape l’épaule et il vous dit j’avais eu tel problème entre temps puis vous m’avez sauvé la vie, et il vous prend carrément dans ses bras puis il vous embrasse. C’est là l’avantage du métier et ces avantages durent pendant une éternité.

Qu’en est-il des difficultés ?

Les difficultés du métier sont énormes. J’ai fait 5 ans à Banikoara, c’était sans problème puisque là, j’étais le laborantin et toutes les filles m’appelaient l’infirmier qui fait bouillir les selles et les urines, une formation de trois mois que j’ai faite d’ailleurs à l’hôpital national de Cotonou, quand on avait besoin d’un laborantin à Banikoara. Après, un beau jour je reçois un titre d’affectation et puis je suis envoyé à Ségbana. Arrivé à Ségbana en 1975, j’étais dénudé de tous, je n’avais même pas un bistouri pour percer un abcès. Et je demande aux aides-soignants qui étaient là, comment arrivez-vous, à vous en sortir et ils me disent que si un malade vient on lui demande d’aller acheter ceux dont on a besoin pour son traitement. Il a fallu me battre et mettre mes relations personnelles à profit pour acquérir un certain nombre de matériels médicaux pour pourvoir carrément faire une petite suture. J’ai quitté Ségbana pour Kérou, là-bas, le sanitaire qui était là, n’avait pas un démarreur. Le sanitaire qui va chercher un malade pour une raison ou une autre n’a pas de démarreur et quand le moteur coupe il faut pousser. J’ai eu également les difficultés du déplacement à savoir les routes. Pour évacuer un malade de Ségbana à Kandi ou Bembèrèkè ou encore autres localités, le sanitaire bien qu’il soit neuf va mettre au moins trois heures de temps pour rejoindre ces localités, non seulement il faut pousser le sanitaire pour que ça prenne mais aussi l’état de la route. Toi en tant que responsable pour avoir demandé le transfert d’un malade, tant que le chauffeur ne revient pas te faire le retour, tu n’auras pas le cœur tranquille. Autre difficulté, vous traitez un enfant qui malheureusement a trouvé la mort pendant les soins. Les parents de cet enfant gardent cette image de vous toute la vie. Pour eux, vous êtes le plus mauvais puisque votre image leur rappelle la mort de leur enfant.
Quel a été le jour qui vous a marqué positivement au cours de votre carrière ?
Plusieurs jours m’ont marqué positivement durant mes 41 ans de service. Il y a des jours où vous êtes désespéré en voyant l’état critique du malade. Vous vous mettez à la tâche malgré vous même et quelques heures après, vous constatez que le malade récupère. Là, franchement vous vous sentez soulagé. Comme exemple qui m’a plus satisfait, c’était le cas d’un jeune, environ la vingtaine à Ségbana, mis un matin sous traitement du paludisme qui devrait recevoir des injections matin et le soir pendant une période donnée. Il fait ces injections le premier jour mais le deuxième jour jusqu’à midi il n’était pas là. Etonné je me suis demandé si les injections d’hier ont suffi pour qu’il guérisse. En voulant rentrer, j’ai eu une intuition, je me suis alors renseigné, les aides-soignants m’ont indiqué la maison puisque c’est un village. Arrivé, je toque, je fais tout le possible que l’on pouvait faire pour être reçu dans une maison mais rien. Alors je devine la case qui devait être celle d’un jeune, puis je pousse la porte et je le retrouve par terre, tombé du lit, transpirant et pratiquement inconscient. Rapidement, je retourne tout enjamber au dispensaire cherché le chauffeur et les aides-soignants et on le ramène au centre inconscient. On le met sous perfusion et le soir autour de 19 heures il se retrouve. J’étais ce jour-là emporté d’émotion puisque si je n’avais pas l’intuition que mon malade, ses soins n’étaient pas suffisants pour le guérir puis je n’avais pas été inspiré de le rechercher sûrement que ce jeune homme serait mort dans sa chambre, car il était avec sa tante et sa tante était allée au champ.

Un moment malheureux

Le moment malheureux, c’est quand vous perdez un malade qu’au départ vous pensez soigner facilement. Mais malgré tous les efforts le malade meurt.  Le malade qui a marché pour se rendre à l’hôpital, celui avec qui vous avez ri et causé et du coup vous le perdez, ça touche. Et là, on se rend compte vraiment que vivre ou mourir dépend du créateur. Déjà vous êtes abattu puisque c’est votre malade, c’est très éprouvant. Ces cas, je les ai eus plusieurs fois mais deux m’ont plus touché. Le premier cas, c’est celui d’un petit garçon qui est tombé du vélo et malheureusement le guidon de son vélo est bloqué sur son abdomen lorsqu’il est tombé. Or, on sait que quand l’intestin se retrouve un peu coincé il fuit, alors ce garçon est reçu à l’hôpital de Banikoara. Etant sous traitement, il ne présentait aucun signe de difficulté, causait avec ses parents chaque jour puis un beau jour le tableau change, on constate qu’il a commencé à ballonner. Trop tard on va s’en rendre compte qu’il a eu une perforation intestinale face à cette chute et il passe de vie à trépas. Second cas, notre collègue de travail qui avait un cousin avec lui, décide d’aller en congés et nous confie son cousin. Un beau matin, on trouve chez lui des symptômes du paludisme, on le met sous traitement mais malheureusement le tableau s’assombrit, complètement impuissant, il décède dans la soirée. Tellement touché je me demande à des moments donnés, si j’ai fait le bon choix, en intégrant le domaine de la santé.

Quels conseils avez-vous à l’endroit de la jeunesse ?

Aux jeunes fonctionnaires d’Etat, je dirai qu’il ne faudrait pas qu’ils se mettent en tête que seulement s’ils sont affectés en ville, ils seront heureux. Puisque quand on affecte un jeune en dehors des grandes agglomérations, il est dans un état désastreux. Il se demande pourquoi on m’a affecté dans une zone reculée, alors qu’ils sont toujours au Bénin. Donc ayez l’humilité de vous dire c’est à moi d’amener les habitants de la localité où j’ai été affecté à m’accepter tel que je suis et non être croitrez sur vous. Quand vous dîtes bonjour aujourd’hui à quelqu’un, le lendemain également, le troisième jour il vous dira bonjour en premier et ainsi vous vous intégrez dans cette société. Également, je demanderai aux jeunes de ne pas avoir peur de l’inconnu, d’être toujours prêts pour affronter les difficultés de la vie. Rien n’est sans conséquence, soit elle est bonne ou mauvaise, mais le résultat dépend de l’acte posé.

Votre mot de la fin

Je voudrais dire aux personnels de la santé, que nous avons mal d’entendre que le corps médical rançonne les malades. Je me demande si les agents de santé n’ont plus de compassion par rapport à leur patient ou à l’endroit des parents qui dépensent énormément. Alors, je remercie Daabaaru et beaucoup de courage pour la suite. Une fois encore merci pour l’écoute et du fait que le quotidien s’est intéressé à moi.

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Daabaaru