UNE VIE UN MÉTIER : Florent Daniel Ahouannou parle de sa carrière d’ingénieur des eaux et forêts

3 ans ago | Written by
15 075 vues
0 0

 

Votre journal reçoit pour ce numéro de la rubrique ‘’Une vie un métier’’, Florent Daniel Constant Ahouannou, Ingénieur des eaux et forêts à la retraite. Il s’est consacré pendant 32 ans, à cette fonction qu’il a exercée avec passion et dévotion. Ainsi Florent Daniel Constant Ahouannou nous raconte ici, les temps forts de sa carrière professionnelle. Lisez plutôt.

Daabaaru : Pourquoi avoir choisi faire carrière dans le domaine des eaux et forêts ?

Florent Daniel Constant Ahouannou : Après l’obtention de mon Baccalauréat, il fallait décider d’un secteur d’avenir dans lequel me faire former. C’est ainsi que j’ai choisi le domaine des eaux et forêts. J’ai eu la chance à l’époque d’aller à l’extérieur précisément en République de Cuba en 1982 pour ma formation qui a duré 5 ans. J’ai fini en 1988, avec mon diplôme d’ingénieur en poche et je suis rentré au pays en 1989.

Parlez-nous du début de votre carrière une fois au bercail ?

Je suis rentré à une époque où le pays était en véritable ébullition sous le régime Kérékou. Les fonctionnaires travaillaient sans salaire pendant des mois. Il n’y a avait pas de nouveaux emplois, je suis resté banalement 5 ans au chômage. C’est finalement en 1992 que par un coup de foudre, les gens ont lancé un recrutement pour mettre en place le Projet de Gestion des Ressources Naturelles (Pgrn) qui a couvert tout le pays. Dans ma spécialité, on voulait seulement deux personnes. C’est comme ça j’ai été retenu après avoir déposé mes dossiers. Suite à ma réussite, j’ai été envoyé au parc Pendjari dans l’Atacora en 1993 en tant qu’ingénieur des eaux et forêts. Le projet ayant pour but, d’essayer de nouvelles méthodes de gestion du parc, j’avais pour mission en tant que spécialiste de mettre en place des stratégies autres que ce qui se faisait par les forestiers en Kaki, afin de faire fonctionner le parc. Et je peux vous rassurer que nous avons fait ce que nous pouvons durant les 7 ans qu’ont duré le projet, pour l’atteinte des objectifs.

Parlez-nous un peu des avantages liés à votre métier ?

Le premier grand avantage pour moi, est que j’ai découvert cette partie de mon pays que je n’aurais pas pu découvrir si je n’exerçais pas ce métier. A travers cette fonction, j’ai pu avoir mon premier contact avec le monde rural, j’ai pu découvrir la réalité de ce monde, où les gens ne vivent que de la terre avec la particularité que le village était entouré d’une part, par les chaînes de montagnes et d’autre part, par le parc. C’était un vrai calvaire, puisqu’il ne leur restait plus rien comme terre à cultiver. Les populations vivaient dans la vraie pauvreté, elles se nourrissaient de chenilles. Grâce à mon métier, j’ai pu me rendre utile pour mon pays et encore plus pour cette communauté car, j’ai réussi à inscrit mon activité et de là, le nom de ce village sur le Programme Alimentaire Mondial (Pam). Avec ça, on était ravitaillé en vivres au moins par le Pam. Un ravitaillement pouvait faire jusqu’à deux ou trois voyages de camions titan. Avec cela, les populations arrivaient à vivre, et elles nous ont beaucoup aidées dans la mise en œuvre du projet. Cela fait partie des avantages de ma fonction.
L’autre avantage est que je me suis familiarisé avec le monde des animaux sauvages qui sont de merveilleuses créatures. Aujourd’hui, je connais presque tous les animaux sauvages qui existent au Bénin.

Parlez-nous des difficultés rencontrées au cours de votre carrière ?

Il faut dire que ma vie professionnelle n’a pas été totalement rose. A la fin du projet au parc Pendjari, nous sommes retournés chez nous. Je suis revenu à Parakou. Il fallait encore chercher autre job pour s’occuper. J’étais là et je suis même allé jusqu’à chercher des places pour la vacation dans les collèges. Ce n’était pas facile. Aussi faut-il dire que la difficulté quand j’étais au Parc, c’était la maîtrise des animaux. L’une de mes fonctions, étaient de filmer ses animaux dans leur environnement et, il faut dire que tout ne se passait pas toujours comme prévu. Il arrive que des animaux se sentant déranger par notre présence, cherchent à se protéger en essayant de se jeter sur nous par exemple. On arrivait quand même à se défendre à partir de petites astuces qu’on avait.

Parlez-nous du moment qui vous a marqué positivement au cours de votre carrière ?

Les moments les plus heureux de la carrière, je les ai connus dans le département de l’Alibori. A la fin du Pgrn, alors que je vivais à nouveau le chômage, un autre projet a été lancé. J’ai postulé et je suis admis. J’ai pris service à Bassila où j’ai fait 2 ans 3 mois pour ledit projet qui intervenait dans la production du bois. Et c’est à là fin de ce deuxième essai que le sérieux a commencé dans ma vie à l’âge de 41 ans. Comme il y a un Dieu pour tous, j’ai pu par le coup du hasard, rencontrer le ministre de l’énergie, de l’eau et des mines d’alors. On a échangé, et je l’ai impressionné. Quelques temps après, on m’a invité à passer un petit test au ministère. On m’a recruté, et j’ai été envoyé à Kandi comme chef des travaux dans le domaine de l’eau. Il faut préciser que cette nouvelle fonction n’avait rien avoir avec mon domaine puisque le secteur eau est différent de celui des eaux et forêts. Mais, je me suis lancé et j’ai vraiment cherché à apprendre dans le domaine en lisant beaucoup ce que les autres ont fait. Alors, en tant que chef des travaux, je devais apporter de l’eau aux communes qui étaient dans le besoin à travers la construction des puits à grand diamètre et des forages.

Alors pour répondre à votre question, je vais commencer en disant que je ne savais pas que quelque part dans mon pays, les gens peuvent être en train de souffrir de l’inexistence de l’eau jusqu’à ce que ma fonction me conduise dans ces villages. J’ai vu des gens pleurer à chaude larme parce qu’ils n’avaient pas de l’eau. Les gens se servaient de la boue comme eau de boisson. Alors, avec ce projet on a pu créer des forages dans les villages du département de l’Alibori qui n’avaient pas d’adduction d’eau villageoise. Quand on se rendait dans un village pour les travaux, c’était la fête dans le rang des habitants, lorsque l’eau commence par jaillir. Les populations toutes contentes demandent sur le coup, qui est le patron, et mes collègues me pointe du doigt. Elles accouraient toutes vers moi et me remerciait avec les larmes aux yeux. C’était trop émouvant, les prières et bénédictions allaient dans tous les sens, alors que je n’étais pas le chef direct, j’avais un patron mais, du fait que c’est moi qui était sur le terrain, j’étais pour eux un envoyé de Dieu.
Pour la première virée que j’ai faite à ma prise de fonction, j’étais rentré avec plus de 40 cabris, 300 œufs de pintades, des poulets et des pintades. C’était du jamais vu. Quand on allait dans un village et que le forage marche, on me remerciait avec des animaux. Ma femme toute étonnée quand je suis rentré le véhicule plein d’animaux m’avait même demandé là où j’ai volé tout ça. Alors, je ne peux vraiment pas rêver mieux comme moments heureux au cours de ma carrière.

Racontez-nous le moment qui vous a marqué négativement au cours de votre carrière

Je me rappelle de ce jour où on avait organisé une excursion au Parc pour les écoliers qui sont dans les écoles le long du Parc. Ainsi, on était sur un mirador avec ces écoliers quand tout à coup, on s’est vu pris d’assaut par une population de 18 lions. Il y en a qui était venu s’abreuver au niveau de la mare, et d’autres se sont positionnés au dessous du mirador. Par où descendre, c’était compliqué. Les enfants ayant constaté la présence de ces animaux ont commencé par paniquer. C’est vrai que pour moi c’était passionnant la situation, mais avec environs 150 petits enfants placés sous notre responsabilité, ce n’est pas toujours ce qu’il faut souhaiter, je me dis que c’est fini pour nous car, si ces animaux consommaient vraiment la viande de l’homme, ce n’est pas évident qu’on s’en sorte sain et sauve. Heureusement on est arrivé à les maîtriser jusqu’à ce que les lions repartent d’où ils viennent.
L’autre moment difficile, c’est quand je faisais mon travail dans le Parc pour identifier les opportunités. Dans notre promenade, on est allé tomber sur plus de 300 buffles et, les buffles eux autres, ils ne vous mangent pas, ils vous chargent. C’est-à-dire qu’ils vous prennent pas derrière et vous cognent contre un arbre. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont essayé de faire puisqu’ils nous ont poursuivis espérant nous attraper. Chacun s’est sauvé comme il peut. Je suis allé me placer au dessus d’un grand arbre, ils ont tenté de secouer mais hélas, l’arbre était bien grand. On est resté dans nos cachettes pendant des heures, le temps qu’ils disparaissent. Ce jour-là, j’imaginais déjà ma fin si on se faisait prendre. Cela fait partie des risques de mon métier. Il faut préciser que j’ai fait valoir mes droits à la retraite, en 2019.

Quel message avez-vous à l’endroit de la jeunesse ?

Tout d’abord je vais dire que le chemin partant du jour où vous commencez par travailler jusqu’au jour où vous mettez fin à votre carrière, est un chemin rempli d’épines, dans la mesure où, dans votre structure où vous travaillez, vous connaîtrez des hauts et des bas. Peu importe ce que vous allez faire, où votre niveau au sein du service, vous serez toujours envié par des collègues. J’invite alors les jeunes à cultiver l’humilité partout, à être humble dans ce qu’ils font et surtout ouverts. Ils doivent savoir qu’on ne grandit pas en un seul jour dans la vie, il faut traverser des étapes avant d’arriver au sommet.

Quel est votre mot de fin ?

D’abord je vous remercie pour cette considération, je suis content que quelqu’un de votre structure vienne m’interviewer au sujet de ma carrière. Je remercie Dieu d’avoir guidé mes pas au cours de ma carrière jusqu’à la retraite.

Propos recueillis et transcrits par Samira ZAKARI

Article Categories:
A la une · Actualité

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Daabaaru