UNE VIE UN METIER : «…il m’est arrivé qu’on me colle les coups d’Etat. Mais…», dixit le major des forces armées béninoise Harissou Issifou

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Votre journal Daabaaru reçoit pour vous, pour le compte de sa rubrique “Une vie un métier” de cette semaine, Harissou Issifou Alpha. Major des forces armées béninoises à la retraite. Il a servi avec abnégation et loyauté son peuple grâce à sa passion pour ce métier. Onze ans après, l’homme revient sur les temps forts ayant marqué sa carrière professionnelle. Lisez plutôt.

Daabaaru : Pourquoi avez-vous choisi faire carrière dans l’armée ?

Harissou Issifou Alpha : Vous savez, c’est une question de passion et de vocation. Les parents militaires, leur comportement, leur agissement m’avaient tellement plus et je m’étais rendu volontaire pour faire comme eux et surtout qu’on parle de défense de la patrie donc ça m’avait énormément plus d’être militaire, d’être bien dans la société et passer pour quelqu’un d’extraordinaire.

Comment et quand avez-vous intégré ce corps ?

Comme je le disais, c’est une vocation et puis, comme il s’agissait de la défense de la patrie, juste après l’agression du 16 janvier 1977, quand les appels fusaient de partout, surtout du feu général Mathieu Kérékou. Alors, je me suis dis qu’il faut que moi aussi je me rends disponible. C’est une occasion que j’ai saisie. C’est ainsi qu’en juin 1977, je me suis fait incorporer les forces armées populaires du Bénin. J’ai aimé et puis, je me suis donné à fond pour suivre la formation commune de base. Cela s’est passée à Ouidah. J’ai fait 4 mois là-bas et donc après, nous avons été ventilés dans les différentes entités. Je me suis retrouvé à la présidence de la République où j’ai servi aux côtés du général Mathieu Kérékou.

Comment étaient vos débuts dans ce métier ?

Vous savez, l’armée c’est tout une famille et il faut y vivre pour en apprécier parce que là, vous rencontrez les communautés de toutes les nationalités, de toutes les ethnies. C’est très bien parce que, presque toutes les langues, vous les parlez là-bas. Moi, ce qui m’a plu est qu’aux côtés de ceux qui ont été à l’école, il y a aussi ceux qui n’ont jamais mis pieds à l’école et on vous met sur le même banc pour étudier la même chose. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’au bout de 4 mois, ceux qui n’ont jamais mis pied à l’école s’en sortent avec un français même-ci c’est approximatif. Les mêmes choses vous les apprenez et puis, il y en a même qui arrivent à battre les instruits. Alors, c’est extraordinaire, c’est ça la pédagogie, on apprécie la pédagogie militaire. C’est la formation et vous êtes obligés de suivre.

Quels sont les avantages de votre métier ?

Les avantages, c’est la chance qui m’a amenée moi à servir, là où il faut pour me sentir en quelque sorte plus militaire et donc moi j’ai servi la garde républicaine, j’ai servi aux côtés du général Mathieu Kérékou. Je me suis senti dans ma peau plus militaire que les autres qui n’ont pas eu la chance d’aller là. On apprend plus, on a les avantages à accéder aux stages parce que la formation est plus continuelle à ce niveau. Vous êtes tout le temps en instruction et c’est bien. J’ai eu la chance de faire aussi avec les instructeurs syriens, j’ai fait avec les coréens, les chinois, les russes, et même les cubains. Donc tout cela a fait que j’ai accumulé une expérience que je peux vendre. C’est déjà très bien pour moi. Ça c’est les avantages que j’ai eus sur les autres, surtout dans la pratique de l’animation de certains amis militaires dans la vie courante militaire. Donc cela fait, que pour mes examens militaires je n’ai pas eu tellement de difficultés.

Parlez-nous des difficultés ?

Comme dans tout métier, les difficultés, les conséquences, il y en a. Vu que j’ai servi plus à la présidence, c’est très facile de tomber de l’autre côté. Manier les armes, faire la sécurité, rester à côté de la première autorité, si tu n’as pas la chance, si tu n’es pas vigilant tu vas très tôt dévier. Je ne peux rien cacher, ça m’a entrainé dans des situations mais, Dieu merci je m’en suis sorti. Ton comportement, tes attitudes, tout est surveillé. Moi il m’est arrivé qu’on me colle les coups d’Etat. Mais bon, après des enquêtes, j’ai été blanchi vu que je ne me reprochais rien. Cela fait partie des difficultés de notre métier.

Quel est le jour qui vous a marqué positivement au cours de votre carrière ?

Il y a eu assez de moments heureux, mais parlant de celui qui m’a le plus marqué. Il y a un phénomène qui m’est resté et qui me restera toujours. C’était le 31 juillet 1996, j’avais quitté Ouidah pour prendre part au défilé militaire du 1er août. J’ai par inadvertance abandonné mon arme, sur le capot d’un véhicule. Nous étions en train de causer quand le véhicule a démarré, et c’est après qu’il soit parti que je me suis rappelé que j’ai oublié mon arme. Ils ont quitté le lycée Béhanzin pour aller garer au lycée Toffa 1er, et laisser-moi vous dire que durant le trajet, ni le chauffeur du véhicule, ni le chef de bord, n’ont remarqué la présence de l’arme malgré tous les détours qu’ils ont eu à faire. Alors, moi à mon tour, je me suis empressé de monter sur un zem et aller les retrouver là où, ils garaient. Une fois sur les lieux, tout le monde était étonné de me voir et me demandait ce que je suis venu chercher. C’est là, je leur ai fait comprendre que j’avais laissé mon arme sur le capot du véhicule. Ils étaient tous sidérés, et ne s’en revenaient pas que l’arme soit restée sur place durant tout le trajet. Moi-même d’ailleurs j’étais étonné. Je ne pensais même pas retrouver encore l’arme, je voyais déjà ma fin de carrière après un passage en prison. Ce qui a fait que, quand je suis reparti, j’ai levé l’arme pour montrer à tous que je l’ai retrouvé. C’était comme une fête ce jour-là, puisque mes collègues aussi avaient commencé par compatir au sort qui m’est réservé si l’arme était perdue. Mais quand je suis revenu, arme en main, au delà de l’étonnement qui se dégageait sur le visage de chacun, cet événement a été célébré.

Quand est-il du moment malheureux ?

C’était en 1987, nous avons fait une manœuvre dans l’Alibori. Au cours de cette opération, il y a une femme, une ghanéenne qui a été prise par les collègues. Moi je n’étais pas là, j’étais sur une autre affaire quand c’est arrivé. Quand on s’est retrouvé deux jours après avec les collègues, j’ai retrouvé la femme ghanéenne dans le lot des gens arrêtés. Elle ne parlait aucune langue béninoise. Vu que je bricolais un peu l’anglais, j’ai pu échanger avec elle. J’ai été touché par son cas, puisqu’on avait du tout rien, à lui reprocher elle. Je me suis rapproché donc de mes chefs pour leur faire comprendre que ce qu’on a fait, n’était pas notre mission, que ça pouvait nous créer des problèmes, surtout qu’on était dans la révolution. Mais ce dernier a pris ça autrement, pour de l’indiscipline et j’ai été sanctionné pour ça. Alors que moi, je n’avais aucune idée derrière la tête concernant cette dame. C’est après j’ai compris que mon patron voulait abuser de la dame.

Quand on est allé à Kandi qui était notre point de regroupement, tous les soldats présents ont appris que j’ai eu de problème à cause de la dame, il y a l’un d’eux qui m’a fait comprendre qu’il allait lui aussi s’impliquer dans l’affaire. Il est donc allé voir le chef pour lui dire que la femme ghanéenne arrêtée était sa copine et que c’est lui qui l’avait logé là. Au même moment, quelqu’un était passé voir le chef sans que je sache pour lui dire que la même dame dont il est question, était ma copine à moi. L’affaire était devenue sérieuse et le chef était obligé de nous appeler tous et devant nous, il a demandé à la femme qui de nous deux était vraiment son homme. Elle m’a doigté, comme étant son homme. Le chef s’est alors mis dans tous ses états et disait qu’on se foutait de lui. J’ai été pour cela enfermé et le soldat aussi.

Deux jours après, la manœuvre devait reprendre et comme ils ne pouvaient pas partir sans moi, on m’a fait sortir. C’est là, le chef me demandait si la fille était vraiment la mienne. Je lui ai fait comprendre que oui. Je lui ai expliqué que je n’avais pas voulu dire la vérité à cause de l’engagement qu’il avait pris par rapport à la fille. Je lui ai expliqué que j’allais porter plainte à l’état major vu que j’ai été accusé injustement, je n’allais pas laisser passer l’affaire. Se sentant menacer, le chef a très tôt pris ses dispositions en sortant ma lettre d’affectation avant même que j’enclenche la procédure. J’ai été envoyé à Cotonou. C’est un fait qui m’a vraiment touché. Alors ce que je vous ai raconté, c’était hors de la présidence. Pour les situations qui se sont déroulées à la présidence, je ne peux malheureusement pas vous les raconter.

Quel message avez-vous à l’endroit de la jeune génération ?

Alors, pour ceux qui sont déjà dans la carrière, je leur demande vraiment d’être des soldats modèles et surtout disciplinés car, c’est ce qui caractérise l’armée. Malheureusement les réalités ont changé, la façon dont nous, on a exercé notre métier on se rend compte que ce n’est pas la même chose avec les militaires d’aujourd’hui.

Pour ceux qui s’apprêtent à embrasser le corps, je leur demande surtout de s’assurer qu’ils ont la vocation avant d’aller dans l’armée. Puisque, c’est ce qui manque aux soldats aujourd’hui, et on assiste à toute sorte de dérive en leur sein. Alors il faut d’abord avoir la passion pour le métier et être des soldats disciplinés ce qui leur permettra de vite gravir les échelons. Ils ont la chance de participer à des missions à l’extérieur, ce n’est pas comme en notre temps, on n’a pas eu cette chance là. Alors qu’ils prennent au sérieux leur métier et ça va payer.

Votre mot de la fin ?

Comme mot de la fin, je vais appeler mes jeunes frères, mes amis, les fils qui sont dans l’armée à faire preuve de détermination et de disponibilité. Je leur souhaite surtout bonne chance.

Propos recueillis par Samira ZAKARI

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