UNE VIE UN METIER : Le professeur Léon Bio Bigou fait le récit de son parcours .« Il est nécessaire que le Bénin revoit de fond en comble son système éducatif, que ce soit de la maternelle au supérieur », a-t-il martelé

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Le professeur Léon Bio Bigou est l’invité de ce numéro de la rubrique “Une vie un métier ”, de votre quotidien Daabaaru. Enseignant-chercheur au département de géographie de l’Université d’Abomey Calavi (Uac), il fait partie des meilleurs dans son domaine grâce à ses compétences. Un savoir faire qui lui a permis de porter loin le nom de son pays, à travers la formation donnée à des milliers de jeunes étudiants de divers horizons à l’Uac. Après avoir servi pendant 40 ans 10 mois 25 jours, dans le secteur de l’enseignement, le professeur titulaire Léon Bio Bigou est à la retraite depuis le 1er octobre 2020. Il livre ici, les temps forts qui ont marqué sa carrière professionnelle. Lisez plutôt.

Daabaaru : Pourquoi avoir choisi faire carrière dans l’enseignement ?

Professeur Léon Bio Bigou : Il faut dire que moi je n’ai pas choisi l’enseignement par vocation. Il s’est présenté à moi comme une nécessité à l’époque, dans le souci de servir mon pays. Je finissais mon année de licence en 1978 quand l’Etat a fait le constat qu’il y avait un manque d’enseignant qualifié au niveau secondaire. Il fallait donc en recruter pour résorber le manque. C’est ainsi que l’Etat a pris la décision de créer l’Ecole Normale Supérieure (Ens) de Porto-Novo. Un concours de recrutement de 60 personnes pour cette école, a été lancé. Les personnes qui avaient choisi faire carrière dans l’enseignement ont déposé leurs dossiers. Mais finalement, il y avait très peu qui se sont inscrits, ce qui n’arrangeait pas l’Etat. Comme solution, les facultés qui formaient dans les matières de l’Ens ont été fermées pour obliger les gens à s’inscrire. Malgré ça, il y a certains camarades qui ont préféré quitté le pays. Moi j’ai décidé de rester et lutter. Voilà comment je me suis retrouvé de l’autre côté. Je fais partie de la première promotion des professeurs certifiés sortis de cette école en 1979. Je suis sorti de l’Ens avec la maîtrise et le Capes.

Comment étaient vos débuts dans cette fonction ? 

Il faut dire que je suis sorti premier de ma promotion à l’Ens. J’ai donc choisi le Ceg Gbégamey pour mon premier poste. Vu que je n’ai pas fini ma formation, j’ai voulu rester à côté. J’avais un plan bien établi. Pour ce qui est de l’ambiance, il faut dire que j’ai su très tôt imposer mes principes à mes apprenants. Surtout la ponctualité, j’étais très rigoureux sur ce point. Pour le reste, tout se passait bien, on avait 50 h de cours à faire par semaine.

Comment s’est faite votre transition de l’enseignement secondaire au supérieur ? 

A notre époque, il n’y avait pas d’école doctorale au Bénin. Pour le faire, il fallait aller en France soit grâce à une bourse ou à titre payant. Il s’est fait que, l’Etat avait sorti un décret pour dire que ceux qui obtenaient leur maîtrise doivent travailler pendant 2 ans avant de chercher à évoluer. C’est donc la raison pour laquelle je n’avais pas voulu quitter Cotonou. Finissant mes 2 ans dans l’enseignement secondaire, j’ai déposé mes dossiers pour demander la bourse. On m’a répondu pour me dire que je dois d’abord être détaché du ministère de l’enseignement secondaire pour le supérieur. Ce que j’ai pu obtenir en 1982 et j’ai été mis à la disposition de l’université. Une fois là-bas, on m’a dit que je dois d’abord faire 2 ans en tant qu’assistant stagiaire avant de lancer le processus pour la bourse, ce que j’ai fait. Il y avait 3 bourses pour 160 candidats et heureusement j’ai été pris à chaque étape du processus de sélection. Ce n’était pas évident que je sois maintenu, mais j’ai pu m’en sortir. Vu que j’avais une passion pour l’écriture, je rédigeais des articles pendant mes heures perdues, sans savoir que cela allait m’être utile un jour. De 160 candidats, on s’est retrouvé à 11 et il fallait sélectionner les 3 boursiers de ce lot. Ils ont donc exigé que chacun des candidats apporte la liste de ses publications puisque la bourse de doctorat est une bourse de recherche, elle ne s’octroie pas à tout hasard. Moi j’avais déjà 13 titres que je suis donc allé déposer. La commission s’est réunie pour choisir le candidat qui a publié plus de titres. C’est comme ça, j’ai obtenu la première bourse en 1984. J’ai suivi ma formation à l’Université de Bourgogne. Je suis rentrée au pays le 20 décembre 1987 après avoir soutenu ma thèse le 17 décembre. Pour ma soutenance, j’ai obtenu la mention très honorable avec félicitations du jury et autorisation de publication. Mes responsables ont voulu même me garder là-bas pour travailler mais j’ai décidé de rentrer au pays malgré toutes les promesses qu’ils m’ont faites. Je suis rentré et j’ai repris service le 8 janvier 1988.

Quels sont les avantages de votre métier ? 

Avantage, est-ce qu’il y en a de particulier à part le salaire qu’on perçoit. Il y a aussi que, l’enseignant est le bâtisseur des cadres de demain. Pour devenir un cadre de la Nation, il faut passer par les mains de l’enseignant. Et aujourd’hui, je peux me sentir fier d’avoir remplir ce rôle de contribuer à la formation de plusieurs cadres de ce pays et même de la sous région, que ce soit au secondaire ou au supérieur. C’est un plaisir. Il faut dire aussi qu’à l’université, j’enseignais la géographie mais j’ai beaucoup fait des recherches du côté de l’histoire également. Ce qui fait que certains pensent que je suis historien. Moi j’ai cette chance d’avoir des compétences dans d’autres domaines en dehors de celui dans lequel j’ai été formé. Je suis par exemple beaucoup sollicité pour les questions sur l’histoire du peuple Baatonu, on me confie des missions dans ce sens, c’est un avantage. Par ailleurs, grâce à mon métier et surtout mon grade de professeur titulaire, je suis invité un peu partout à des colloques et autres. Par exemple en 2007, sur les questions de population et développement, j’ai signé un contrat avec le projet Usaid des américains. J’avais à ma charge, cinq pays que je gérais sur les questions de population et développement, de la santé de la reproduction.

Parlez-nous des difficultés ?

Les difficultés, ce n’est pas ce qui a manqué. Chaque fois que vous vous battez pour évoluer, il y a des gens qui vous placent les bâtons dans les roues. L’année où je devais passer ma maîtrise et en même temps mon Capes, j’ai eu des problèmes qui ont fait que, ce que les gens devaient faire en un an, c’est en 6 mois j’ai eu à le faire. Pour la maîtrise, j’étais loin dans mes recherches quand on me dit qu’il faut que je change de thème, alors que la date de la soutenance était proche. J’ai pu le faire malgré tout, et je suis devenu major de ma promotion.

Aussi faut-il dire qu’en situation de classe, on est confronté à toutes sortes de situations avec les étudiants. On en recevait de divers horizons, et ce n’est pas facile de gérer tout ce nombre. Mais comme on le dit, un enseignant c’est celui qui est capable face à une situation donnée, de trouver la solution. Alors, moi j’ai toujours réussi à gérer les problèmes, avec manière.

Quel est le moment le plus heureux de votre carrière ? 

Des moments heureux, j’en ai connu vraiment. D’abord comme période positive, c’est chaque étape que j’ai eu à franchir au cours de ma carrière. Maitre assistant, maître de conférence et enfin professeur titulaire, c’est une grâce. De même, j’ai eu cette chance de siéger à l’Assemblée Nationale (An) du Bénin de 1998 à 2007. Et grâce aux compétences acquises dans le domaine technique scientifique, j’ai eu à occuper des postes de responsabilités au cours de mon passage à l’hémicycle. J’ai même pu occuper le poste de premier vice-président pendant 2 ans. En 2010, j’ai eu le privilège d’être fait commandeur de l’ordre national. Et avant de faire valoir mes droits à la retraite en 2020, j’ai été fait grand officier. On était 2 sur 40, à être élever à ce grade en tant que professeur titulaire. C’est un grand honneur d’être reconnu pour les services rendus à la Nation.

Quels sont les moments qui vous ont marqué négativement au cours de votre carrière ? 

A l’université, lorsqu’il était question d’envoyer mon dossier d’inscription pour la bourse, sur 13 pièces, seulement 3 ont été envoyées, le reste a été soutiré. La France m’a répondu pour me dire qu’ils ont reçu mon dossier à 3 pièces. J’étais obligé de mener mes propres démarches, pour compléter le reste et envoyer avec accusé de réception. C’est quelque chose qui m’a marqué. Autre élément, pour mon premier grade de professeur qui est le maître assistant, j’ai envoyé mes dossiers au Cames. Les gens ont suivi là-bas pour aller soutirer trois articles scientifiques. J’en ai fourni cinq, mais ils m’ont laissé seulement deux. Finalement, l’année qui a suivi, j’ai été rétabli dans mes droits, ils ont réparé l’erreur.

Quelle appréciation faites-vous de la qualité de l’enseignement ?

En tant qu’enseignant, je suis négativement marqué par la qualité de l’enseignement. D’abord, le nombre d’enseignant par rapport à l’effectif des étudiants à gérer, laisse à désirer. Vous vous imaginez que le chef du département de géographie a, prêt de 45 000 étudiants à gérer. Il fut une année où à la Fadesp, les gens étaient plus de 11 000 étudiants en première année pour une université où on a à peine deux ou trois amphis de 1000 places. L’effectif pléthorique des étudiants dans nos universités est un véritable problème qui n’est pas facile à gérer.

Quel est votre mot de fin ? 

Pour finir, je dirai qu’il est nécessaire que le Bénin revoit de fond en comble son système éducatif, que ce soit de la maternelle au supérieur. De plus en plus, le monde évolue et on ne demande plus le diplôme mais ce que tu sais faire. Donc, les diplômes que nous délivrons chaque année de façon industrielle, combien d’étudiants peuvent s’auto-employer, c’est des questions qu’il faut se poser. Le système d’orientation s’impose donc, il y a des enseignements qu’il faut carrément supprimer pour en créer d’autres de sorte à amener l’étudiant à s’auto-employer. Je vous remercie.

Propos recueillis et transcrits par Samira ZAKARI

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