UNITÉS ADMINISTRATIVES SANS TERRITOIRE AU BÉNIN : Au coeur des villages fantômes à l’ère de la décentralisation . Une situation qui interpelle le législateur

4 ans ago | Written by
20 269 vues
0 0

UNITÉS ADMINISTRATIVES SANS TERRITOIRE AU BÉNIN

Au coeur des villages fantômes à l’ère de la décentralisation

. Une situation qui interpelle le législateur

Le village ou le quartier de ville est la plus petite unité administrative du Bénin. Ainsi, elle est généralement identifiée par rapport à un territoire géographiquement repérable. Mais dans la pratique, on rencontre dans certaines communes notamment du nord Bénin, des villages sans territoire fonctionnant avec des conseils locaux légalement reconnus et des populations. Il s’agit des villages peulhs qui aujourd’hui constituent de véritables casse-têtes pour la mise en œuvre de certains projets de développement, ce qui interpelle les députés pour qu’une solution soit trouvée à cet état de choses.

Edouard ADODE

Aux termes de l’alinéa 1 de l’article 4 de la loi N° 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin, « la commune est divisée en arrondissements.

L’arrondissement est divisé en quartiers de villes dans les zones urbaines ou en villages dans les zones rurales ». Ainsi, les villages et les quartiers de villes se présentent comme les plus petites unités administratives au Bénin. Par conséquent, elles représentent donc l’Etat en miniature avec a priori une population établie sur un territoire sous une autorité légale sauf qu’elles ne disposent ni de personnalité juridique ni d’autonomie financière conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la loi N°97-028 du 15 janvier 1999 portant organisation de l’administration territoriale de la République du Bénin.

L’exception à la règle

Si de manière classique, il faut la réunion d’un territoire, d’une population et d’une autorité légale pour parler d’un village au sens de la loi, certains dans le nord Bénin existent et fonctionnent sans avoir un territoire bien défini. Il s’agit de certains villages peulhs dans la partie septentrionale du Bénin. Ces villages sont très différents de ce qui est communément connu sous le vocable de « camps peulhs » qui sont de petites agglomérations fondées autour d’un patriarche peulh et souvent faites de quelques cases en matériaux précaires.
Les villages peulhs sont donc ces unités administratives légalement reconnues dont le chef village réside sur un territoire d’un autre village de même que ses administrés qui sont généralement des peulhs disséminés un peu partout sur le territoire d’un arrondissement voire même d’une commune. Ces chefs villages sont élus conformément à la loi par ces peulhs qui se rendent au centre ville où est installé leur bureau de vote. Comme le confirme Sokou Abdoulaye Ada chef village peulh de Bembéréké, « pendant les élections, un bureau de vote est souvent installé pour les peulhs dans l’enceinte du service élevage ici à Bembéréké centre. Et c’est ici que tous les peulhs de l’arrondissement viennent voter ».

Le Chef Service Affaires Domaniales et Environnementales (C/Sade) de la mairie de Bembéréké Nasser Lafia Saka estime que ces villages sans territoires ne sont pas des spécificités de la commune de Bembéréké, mais plutôt une réalité propre à plusieurs communes du nord Bénin. « C’est une création politique qui répond quand même à la satisfaction d’un besoin des peulhs qui sont dans une dynamique de regroupement et de sédentarisation », a fait savoir le C/Sade.
Ainsi, pour plus de proximité avec ses administrés qui souvent ont de la peine à communiquer avec les chefs des villages où ils habitent puisqu’ils sont pour la plupart des analphabètes ; le chef village peulh est obligé de parcourir plusieurs camps de l’arrondissement de Bembéréké et d’autres hameaux environnants. Il est pratiquement un chef de village très mobile au point où il se dit être plus qu’un simple chef village. « Quand je suis avec mes collègues délégués, parfois je leur dis que moi je ne suis pas un simple chef village, mais un chef d’arrondissement adjoint, parce que je gouverne presque le même territoire que le vrai Ca », a confié Sokou Abdoulaye Ada. Il a précisé que les neuf conseillers de son conseil local sont dans les différents hameaux de l’arrondissement et lui-même est domicilié au centre ville.
Dans ces milieux où les conseils locaux jouent le rôle de tribunaux de conciliation, ce système par lequel l’ethnie peulh a son chef élu malgré l’inexistence de territoire fixe, permet à ces populations de régler leurs conflits à l’amiable.

Des villages qui posent de réelles difficultés de gestion

Cette organisation notée au sein des peulhs constitue en même temps un casse-tête pour les autorités de ces communes lorsque certaines infrastructures sociocommunautaires doivent être équitablement reparties dans tous les villages administratifs de ces communes. « Lorsque nous devons bénéficier des projets qui doivent couvrir tous les villages administratifs, nous avons de la peine à justifier que tous les villages reconnus légalement en ont bénéficié. Si nous prenons l’exemple des Plans Fonciers Ruraux que réalise la Giz dans notre commune par le biais du Projet de Promotion d’une Politique Foncière Responsable (Propfr), il est difficile d’expliquer aux partenaires que sur les 61 villages que compte Bembéréké que c’est seulement 60 qui peuvent en bénéficier, puisqu’eux, ils tiennent compte de ce qui est officiel », a expliqué Nasser Saka Lafia. Barnabas Orou Kouman journaliste originaire de la commune de Kouandé renchérit, « j’ai une fois écrit un article pour montrer le calvaire des peulhs de Kouandé en ce qui concerne le manque d’eau dans certaines localités de cette commune. Suite à cet article, une organisation internationale a voulu construire un forage pour cette communauté. Contacté, nous sommes descendus sur le terrain, mais ces partenaires n’ont pas pu faire quelque chose parce que c’était des camps isolés les uns des autre d’au moins un kilomètre. Or, la population d’un camp peulh ne dépasse pas une vingtaine. Ainsi, il était difficile d’identifier l’endroit idéal où installer cette infrastructure pour qu’elle puisse servir le plus grand nombre ».

Des pistes de solutions

Face à cette situation, le chef service affaires domaniales et environnementales de Bembéréké dit avoir informé l’autorité communale qui entre temps avait même soumis le problème au conseil communal après avis de la commission des affaires domaniales et environnementales. De cette démarche, le conseil communal a alerté l’Assemblée nationale afin que la situation soit étudiée par les députés. Nasser Lafia Saka ainsi que Sokou Aboudoulaye Ada sont conscients de ce qu’il ne serait pas envisageable de supprimer cette unité administratives au vue de son importance du point de vue social.

Néanmoins, le C/Sade préconise un regroupement de cette communauté sur un territoire bien précis. Une idée que rejette d’amblée le chef village Bembéréké peulh qui trouve que compte tenu des traditions et le type d’activité que mène cette communauté composée pour la plupart d’éleveurs, leur concentration en un seul lieu sera source de grands conflits permanents. En plus, il estime que le fait d’attribuer un poste de conseiller local à un peulh dans un conseil local composé en majorité des non peulhs, ne permet pas à cette communauté de bien exprimer ses besoins puisque le peulh est généralement stigmatisé par les autres communautés.

Il est donc impérieux que le législateur se penche sur cette réalité afin que ces populations puissent être pleinement prises en compte dans le développement des communes où ils vivent.

Article Categories:
A la une · Dossier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Daabaaru