VIE D’UN OFFICIER DE L’ARMEE BENINOISE : A cœur ouvert avec le général Mathieu Boni . « L’armée c’est au delà de courir et tirer… », dixit l’ancien chef d’état major

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VIE D’UN OFFICIER DE L’ARMEE BENINOISE

A cœur ouvert avec le général Mathieu Boni

. « L’armée c’est au delà de courir et tirer… », dixit l’ancien chef d’état major

Très jeune, il envisageait devenir magistrat. Mais par un concours de circonstances, cette ambition s’est estompée quand le gouvernement du régime révolutionnaire du feu président Kérékou a annoncé sa volonté de renforcer l’armée. C’est ainsi que celui qui sera Général par la suite, a décidé de se mettre au service de son pays en intégrant l’armée. Le général Mathieu Boni, puisque c’est de lui qu’il s’agit, vous plonge à travers cette interview exclusive dans son parcours professionnel et livre les haut et les bas de sa carrière d’homme de la grande muette. Lisez plutôt.

Daabaaru : Pourquoi avoir choisi faire carrière dans l’armée béninoise ?

Général Boni : C’est très simple. Nous notre génération, après notre sortie du secondaire, on s’est inscrit à l’université. Ainsi, à cause des événements du 16 janvier 1977, le président Kérékou à l’époque avait décidé de renforcer l’effectif en garde des forces armées. Un communiqué a été donc diffusé et appelait tous les étudiants voulant faire carrière dans l’armée à s’inscrire au niveau du palais. Il faut avouer que je n’étais pas trop intéressé car moi ma vision était de devenir magistrat. Mais j’avais des collègues qui à l’époque m’ont conseillé de déposer quand même les dossiers. Nous sommes donc allés déposer les dossiers et c’est comme ça contre tout hasard, j’ai été sélectionné. Donc ça m’est juste tombé comme ça car ce n’était pas du tout un plan que j’avais tracé.
Il faut dire aussi qu’a l’époque j’avais un frère qui était médecin militaire, mais a quitté subitement l’armée suite aux événements de sécurité d’État des années 1960 à 1972, ce qui m’a marqué profondément et a fait que je n’avais pas la vocation pour ce métier.

Alors comment ont été vos débuts dans ce métier ?

Bon pour les débuts, il faut dire que ce n’était pas vraiment compliqué. On était un certains nombres d’étudiants recrutés, et on a donc été envoyé en Algérie pour la formation. On découvrait un nouveau métier, un nouveau pays. Et il faut avouer que moi mon éducation de base a fait que je n’ai pas trop eu de difficultés pour le début. Étant issu de parents paysans, j’étais déjà habitué à l’endurance, à la souffrance. Donc ça n’a pas été difficile pour moi. Au début même d’ailleurs j’avais choisi le parachutisme, et c’est après j’ai quitté pour rejoindre les blindés. Donc dans l’ensemble, j’étais plutôt à l’aise, ça n’a pas été dur pour moi.

Quels sont les avantages liés à votre métier ?

Bon l’armée, quand on parle davantage, il faut prendre sur toute la carrière. Au début, le militaire ne bénéficie vraiment pas davantage en tant que tel à part sa solde. En général, l’avantage c’est d’être dans un métier qui bouge. Quand vous êtes jeune, vous n’êtes pas au bureau en train de griffonner les papiers, vous êtes plutôt sur le terrain avec les hommes, vous êtes un entraîneur d’hommes, vous les amenez faire le sport, les tirs, les combats et autres. Ce qui fait que vous exercez le métier sans pour autant attendre un avantage particulier. Aussi comme avantage, quand vous êtes commandant d’une armée, en tant que commandant, vous avez des relations que ça soit dans le milieu civil que militaire sur le plan national qu’international. Aujourd’hui je suis connu un peu partout et je peux aller librement dans n’importe quel pays de la sous région et être bien accueilli.

Que retenir de vos missions hors du pays ?

J’ai été engagé deux fois sur les théâtres extérieurs. Une fois en Guinée Biseau où j’ai conduit le contingent béninois pendant 8 mois en 1999. J’étais lieutenant colonel à l’époque. La deuxième fois, c’était en Côte d’Ivoire de 2002 à 2004 où j’étais le commandant contingent, chef d’État major de la Cedeao. Toutes ces expériences ont fait que ma foi et ma vision de l’armée ont beaucoup changée.

Quelles sont les difficultés liées à votre métier ?

Les difficultés sont énormes. J’ai fait 35 ans de carrière et les risques, il y en avait. Comme risque, quand j’étais en Guinée Biseau, j’ai dû marcher sur une mine, mais heureusement j’ai pu me débarrasser de cela et je l’ai donc ramené comme trousseau de guerre. J’ai eu également des risques sous forme d’attaque avec ma troupe toujours en Guinée et aussi en Côte d’ivoire. Mais nous nous sommes quand même en sortis. Maintenant les difficultés liées à ma carrière même, elles sont jonchées de beaucoup d’histoire. Mais la première et la plus négative que j’ai connue c’est quand j’étais le chef de corps et commandant d’arme de Ouidah. Entendez par commandant d’arme l’officier le plus gradé qui commande le camp. Alors j’ai perdu mon père à cette époque, je suis donc allé l’enterrer et faire les cérémonies y afférentes. Après cela, je suis reparti au village saluer tous ceux qui m’ont soutenu pendant les cérémonies, quand j’ai connu un vol d’arme au camp à Ouidah le 5 mars 1994. C’était une difficulté énorme qui m’a fait perdre ma carrière puisque j’étais le chef et j’étais censé tout contrôler. J’ai été relevé de mon poste de commandant pour ça, pourtant j’avais des permissions régulières. Mais les autorités ont estimé que je devais payer puisque j’étais le chef, et j’ai payé. Ça m’a retardé d’une année, voir deux même, mais j’ai très tôt repris ma carrière en main.

Quels ont été les moments heureux de votre carrière ?

J’ai eu la chance de commander presque tous les corps. J’ai été chef d’état major de l’armée de terre, chef d’état major général. Ça fait parti des moments heureux puisque l’officier, son honneur, sa gloire c’est dans le commandement.
Aussi, lorsque vous avez la responsabilité des hommes et que vous arrivez à convaincre les décideurs de telle ou telle action, cela fait plaisir. Lorsque vous allez à une réunion des chefs d’états majors ou une réunion de la coopération bilatérale avec d’autres pays développés et que vous arrivez à les convaincre de venir vous aider dans votre pays sur les plans où vous avez des faiblesses ou moins de moyens, vous êtes satisfait moralement.

Contez-nous une petite anecdote que vous avez vécue au cours de votre carrière

Bon comme anecdote j’avais conté plus haut l’histoire de la mine. On était en Guinée pour une opération de maintien de la paix. Il y avait deux camps dont les loyalistes et les rebelles. Il y avait donc possibilité d’affrontement entre les deux camps. On était en négociation et il fallait que nous en tant qu’équipe de la Cedeao, on empêche que les affrontements surviennent puisque l’un ne pouvait pas bondir pour attaquer l’autre parce que l’espace qui les séparait était truqué de mine. On s’est donc devisé en deux équipes, une équipe vers les loyalistes et l’autre du côté de la rébellion dont je faisais partie. On a commencé les négociations quand j’ai senti une pression sous mon pied droit et quand j’ai levé, j’ai remarqué que c’était de la fumée blanche. J’ai beaucoup transpiré ainsi que mes collègues d’ailleurs car si elle éclatait on avait au minimum les pieds coupés si non qu’il fallait nous ramener au pays dans des cercueils. C’était une chance, j’ai pu récupérer la mine et je l’ai gardé pour montrer souvent à mes enfants qui sont militaires en leur expliquant les risques du métier, comment j’ai pu échapper à la mort ou si je devais marcher avec une canne. Mais Dieu ne l’a pas voulu.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’armée béninoise ?

Bon, je porte plutôt un regard positif parce que toute institution est appelée à évoluer et une évolution positive et qualitative. Aujourd’hui j’assume encore le rôle de président de l’amical des militaires retraités et je suis en contact avec plusieurs militaires. Voyez-vous, dans l’armée, l’évolution n’est souvent pas liée aux structures parce qu’elles sont souvent presque les mêmes. Ce qui peut évoluer dans l’armée qualitativement, c’est le personnel, la qualité du personnel, le matériel. Vous même vous constatez qu’au cours des défilés, il y a de nouveaux matériels par rapport à ce que nous avons utilisés nous. Ce qui est bien pour notre armée. Si non pour le reste, ça reste ça, le règlement demeure le même, le statut que nous avons laissé est toujours là. Mais j’apprends qu’il aura une évolution et que les jeunes feront un peu plus longtemps la carrière ce qui est une très bonne chose. Si non, bon je ne peux que féliciter ceux qui sont là maintenant.

Quel message avez-vous à l’endroit des jeunes qui aimeraient suivre vos traces ?

Tout d’abord, il faut dire que tout dépend des niveaux auxquels ils aimeraient s’engager dans l’armée. Si ils visent le niveau supérieur c’est à dire le grade d’officier, il faudrait qu’ils acceptent étudier, qu’ils aient le niveau universitaire parce que les matériels sont de plus en plus technique, plus perfectionnés que ce qu’on a connu en notre temps. Il faut qu’ils puissent démontrer que l’armée c’est au delà de courir et tirer comme le pensent plusieurs personnes dans le rang des civils. Quand c’est au niveau de la base également, pour affronter les épreuves professionnelles dans l’armée, ce n’est plus les analphabètes qui réussissent, il faut être instruit. Quand on est instruit et qu’on a le diplôme, on arrive à évoluer rapidement dans l’armée. Donc je leur conseille d’étudier véritablement avant de s’engager car les réalités d’hier ne sont plus les mêmes qu’aujourd’hui.

Votre mot de la fin

Merci beaucoup pour la considération et plein succès.

Propos transcrits par Samiratou ZAKARI

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Daabaaru