RHÉTORIQUE ET DÉMOCRATIE : « …qui dit démocratie fait implicitement appelle à la rhétorique…», dixit Éric Ouorou

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La rhétorique et la démocratie vont de pair selon le consultant en art oratoire Éric Ouorou. Dans sa chronique littéraire de cette semaine, l’homme fait le lien qui existe entre les deux notions. Pour lui, qui dit démocratie fait implicitement appelle à la rhétorique, étant donné que c’est le système politique qui admet le droit d’expression et la confrontation des opinions. Lisez plutôt. 

Wahabou ISSIFOU

RHETORIQUE ET DEMOCRATIE

La résurgence des coups d’état en Afrique noire francophone, interpelle la rhétorique, entendue comme pratique de l’art oratoire. En effet, c’est à la lumière de la rhétorique que virent le jour les premières sociétés démocratiques. Elle se présentait alors, la rhétorique, comme le moyen de résolution des frustrations populaires, au détriment des affrontements physiques. Voilà d’ailleurs pourquoi la rhétorique est parfois qualifiée de l’art par excellence de la démocratie. Elle offre un champ « D’écoute, plutôt que les coups. Débattre plutôt que se battre » dira Bertrand Périer. Lorsque des sociétés qui se veulent aujourd’hui démocratiques traversent des crises, la logique voudrait qu’on s’interroge sur l’usage qui y est fait de la rhétorique.

Si nous nous en tenons aux situations du Mali, du Burkina-Faso ou du Niger, au-delà des velléités politiques, des frustrations des uns et des autres, fondées ou non, de la manipulation du sentiment anti-français, ou des élans hégémoniques russes en Afrique, la démocratie, ou plus exactement l’état de son fonctionnement, se trouve être au fondement véritable des ébranlements politiques observés. Amaury Hauchard, correspondant à Niamey de BFM TV confirme cela lorsqu’il expliquait lors d’un reportage : «Il y a une vraie désillusion des populations, ces gens ne croient plus en la démocratie». Or qui dit démocratie fait implicitement appelle à la rhétorique, étant donné que c’est le système politique qui admet le droit d’expression et la confrontation des opinions. Si un tel système vient à être en difficulté, une hypothèse peut l’expliquer : la rupture du dialogue ou l’instauration du monologue.

Le dialogue qui suppose l’écoute de l’autre, est une qualité primordiale de l’orateur. C’est en restant attentif à l’auditoire que l’orateur découvre le moyen de persuasion le plus redoutable. Pour expliquer cela Stéphane André, Directeur de l’Ecole d’Art Oratoire en France dira, que «Parler en public ne consiste pas à dire ce qu’on a prévu de dire, mais aller au-delà grâce au public».

Une crise prend sa source dans les monologues où chacun parle, mais personne ne s’écoute. Or il n’y a jamais persuasion sans écoute, ni de paix sans communication ou compréhension mutuelle. N’est-ce pas un constat que lors des crises chaque partie développe son argumentaire sans accepter de se rendre sur un champ de dialogue véritable ? Pourtant l’intérêt de la rhétorique dialogique est sans équivoque, notamment lors des fameuses CONFERENCES DE FORCES VIVES DE LA NATION DE MAI 1990, ou plus récemment LE DIALOGUE NATIONAL D’OCTOBRE 2019, au Bénin ; des évènements historiques de dialogue qui ont contribué à réconcilier un peuple alors déchiré par des passions et tensions sociopolitiques. Quand bien même ce recours à la rhétorique n’a pas conduit à l’instauration d’une démocratie parfaite, qui n’existe d’ailleurs pas, son apport à la résolution de crise est indéniable. Preuve suffisante que la démocratie va de pair avec la rhétorique.

De ce qui précède, une recommandation s’impose. Eduquer le citoyen qui plus est le militant, à la rhétorique. C’est le moyen idéal pour éveiller son esprit aux débats d’idées, l’outiller au dialogue, et les prémunir des manipulations opportunistes qui incitent à la violence. Une occasion également pour faire comprendre que quiconque recourt à la force brute plutôt qu’à celle persuasive n’est pas démocrate. Ainsi pouvons-nous tendre progressivement vers des citoyens modèles qui appréhendent le sens de la démocratie. A propos de ce type de citoyen Kofi Annan soutient que «Personne ne naît bon citoyen, bon démocrate ou bon dirigeant ; cela prend du temps et de l’éducation».

En définitive, la démocratie est le gouvernement de la persuasion majoritaire sur celle minoritaire. La persuasion qui est telle que ce qu’elle vous arrache vous croyez l’accorder volontairement ; ce qu’elle vous impose, vous croyez l’avoir décidé par vous-mêmes, est tout le pouvoir de la rhétorique, et la beauté de la démocratie.

Que vous inspire cette opinion de CICERON selon laquelle, « L’administration des Etats ne doit point être abandonnée à des hommes sans sagesse et sans aucune éloquence ? »

Eric OUOROU

Consultant-formateur en art oratoire

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