Le gouvernement du Bénin souhaite mettre de l’ordre dans l’acquisition et la cession des domaines. Depuis peu, le gouvernement à travers, l’Agence Nationale du Domaine et du Foncier (Andf) Victorien Kougblénou a indiqué le 14 juillet 2033, qu’aucune transaction foncière ne se fera sans titre foncier ou à défaut, une Attestation de Détention Coutumière (Adc). Si cela vise à sécuriser les parcelles et les transactions, il convient tout de même de revoir certains points contenus dans le code du foncier et du domaine au Bénin. C’est dans ce sens que le conseiller communal de Kalalé, membre du Bloc Républicain (Br), Abdou-Wahab Garba Say et spécialiste de développement local, a suggéré quelques réajustements au niveau de ce code pour le bien des populations. Lisez plutôt.
Florent YAMA
Sécurisation foncière au Bénin : Nécessité de relire le Code Foncier et Domanial !
La question de la sécurisation foncière est plus que jamais une question d’actualité pour tous au Bénin. Elle est régie par la Loi N° 2017-15 du 10 août 2017 portant Code Foncier et Domanial (CFD) en République du Bénin modifiant et complétant la Loi N° 2013-01 du 14 août 2013.
Le symbole de la résurrection de l’intérêt à la sécurisation foncière est le fameux sésame qu’est l’ADC (Attestation de Détention Coutumière). ‘’ADC’’ est sans doute, l’expression du Code Foncier et Domanial la plus prononcée ces cinq dernières par les béninois et qui, de ce fait, en a été son thème de publicité ou de popularisation le plus efficace.
L’insécurité foncière a-t-elle atteint des proportions si inquiétantes au Bénin au point d’exiger même aux services publics (écoles, centres de santé, hôtels de villes, terrain de football, etc.) de sécuriser leurs sites respectifs c’est-à-dire de faire la formalité de sécurisation de leurs domaines respectifs.
Certains problèmes que crée l’ADC sur le terrain d’une part, l’excès d’exemplarité dont l’Etat veut faire montre à travers la soi-disant sécurisation des domaines des services publics d’autres part, sont des faits qui ont attiré en moi une attention particulière. Pour apaiser mon émotion, je suis allé à la découverte de la loi n°2013-01 du 14 août 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin, modifiée et complétée par la loi n°2017-15 du 10 août 2017. Je découvris alors des insuffisances graves aux origines profondes du CFD qui pourtant apparaît comme une véritable révolution pour la régulation de tout ce qu’il y a autour de la gestion du foncier et des affaires domaniales.
Parlons-en de quelques-unes.
D’abord il faut saluer la déclaration rendue publique le vendredi 14 juillet 2023, par le DG ANDF, Victorien Kougblénou, qui a apporté des clarifications nécessaires afin de faire cesser les interprétations erronées sur l’expiration de la période transitoire prévue par le CFD au Bénin dans l’opinion et sur les réseaux sociaux.
L’application de l’article 17 du CFD étant le changement fondamental après le 14 août 2023, l’on peut saluer son entrée en vigueur car elle va consacrer la fin de la vente tous azimuts des terres rurales par les populations.
Si l’ADC constitue un acte véritablement révolutionnaire, en ce qu’elle est la matérialité du passage d’une gestion foncière très archaïque, fondé essentiellement sur l’oralité, à une gestion plus administrative, l’avènement de l’ADC est à l’origine de la déchirure du tissu du ‘’vivre ensemble’’ des populations dans nos villes et villages. En effet, du jour au lendemain, au sein de sociétés où les populations jusque-là vivaient dans une parfaite harmonie, le ‘’ciel’’ est tombé sur certains. Le vivre ensemble qui a longtemps caractérisé les populations a volé en éclat ; une bonne partie des populations est dépossédée de la terre qui les a pourtant attirée et fixée à cet endroit des décennies durant. Cette « tragédie » trouve son fondement dans l’Art.32 du CFD. Je ne trouve pas d’autres mots pour qualifier la situation ainsi car je vois par-là, une sorte de rapatriement des béninois à l’intérieur de leur propre pays en téléchargement. Et ça risque d’être pire que l’histoire du rapatriement des béninois du Niger en 1963 racontée par un ancien parachutiste originaire de Dassa que j’ai suivi sur Radio Cotonou (ORTB) en 2022. Je plaide ici pour ‘’n’’ rediffusions de cette émission afin que nombre de concitoyens puissent l’écouter et se faire une opinion là-dessus.
Il paraitrait, sous d’autres cieux, que quand un enfant nait en France ou aux Etats-Unis, quel que soit la provenance de ses parents, même en transit, la loi lui donne la nationalité. Maintenant, les enfants béninois nés dans d’autres contrées du pays que celles d’origines de leurs pères n’ont-ils pas droit à la ‘’nationalité’’ de ce village ? Le cas échéant, n’ont-ils pas le droit d’être reconnus comme natifs à part entière de la localité et jouir des droits subséquents notamment sur la terre ?
En somme, la disposition de l’article 32 qui stipule que « L’exploitation ou l’occupation par suite d’autorisation ou de simple tolérance ne peuvent pas fonder la prescription extinctive d’un droit présomptif de propriété préexistant » est malheureusement le support légal de la destruction de nos sociétés. Cette disposition a ignoré totalement la soubassement de la constitution de nos villes et campagnes.
Mais le péché du CDF est loin d’être au niveau de l’ADC seule.
En effet, le CFD couve sciemment une ambigüité autour d’une question essentielle ; en l’occurrence celle relative à : « A qui appartient la terre au Bénin ? ». Le dernier alinéa de l’Art. 352, très intéressant, donne réponse indirecte. Cet alinéa dispose ceci : « Les chefs coutumiers qui règlent, selon la coutume, l’utilisation des terres par les familles ou les individus ne peuvent en aucun cas se prévaloir de leurs fonctions pour revendiquer d’autres droits sur le sol que ceux résultant de leur exploitation personnelle en conformité avec la coutume ». La quintessence de cette partie de l’Art.352 est tout simplement l’extinction du pouvoir des Rois voire chefs coutumiers sur la terre. Ainsi, si les Rois ne sont plus propriétaires de la terre de l’espace où s’étend leurs pouvoirs, qui en est désormais le propriétaire si ce n’est l’Etat ?
Aussi, le pouvoir de déclarer n’importe quel point du territoire national ‘’d’utilité publique’’ (Art.5) si les nécessités l’imposent n’est-il pas une autre illustration, de plus, de ce que l’Etat est le propriétaire de la terre au Bénin ? Sinon que comprenons-nous de l’expression forte : « la SOUVERAINETE de l’Etat » ? L’Etat exerce sa souveraineté sur toute l’étendue du territoire national ; ce qui signifie, s’il est encore besoin de le démontrer, que l’Etat est propriétaire de la terre. J’allais ainsi dire que la convention internationale qui délimite le territoire du Dahomey (plus éventuellement la décision de justice sur l’Île de l’Eté) sur lequel l’Etat exerce sa SOUVERAINETE vaut « TITRE FONCIER » unique et suffisant du Bénin sur l’ensemble des terres du pays.
Toutefois, certains pourraient, à cette étape de mon analyse, me répondre en disant que je développe un sujet vide étant donné qu’il n’y a aucun doute que la terre appartient à l’Etat. Seulement, plusieurs dispositions du CFD ne semblent pas confirmer cette évidence.
L’Art.5 qui semble traiter la question de propriété esquive et parle en ces termes : « En République du Bénin, l’Etat détient le territoire national … ».
En faisant un détour vers le dictionnaire on obtient ceci comme signification du verbe ‘’Détenir’’ d’où vient le mot ‘’Détient’’ : « 1er sens : Garder, tenir en sa possession. Exp. Détenir un secret. 2ème sens : Retenir dans un lieu … ». Quant au verbe ‘’Appartenir’’ d’où vient le mot ‘’Appartient’’, il signifie entre autres : « 1er sens : Être la propriété de quelqu’un. 2ème sens : Être à la disposition de quelqu’un ».
De ces clarifications du dictionnaire, il est donc clair que le CFD a fait le choix de l’ambiguïté.
Or la deuxième partie de l’Art.5 en disant : « Dans le cadre de la mise en œuvre des politiques de développement et pour cause d’utilité publique, l’Etat et les collectivités territoriales, moyennant juste et préalable dédommagement, ont le droit d’exproprier tout titulaire de droit foncier », vient de manière implicite, affirmer la primauté de l’Etat sur la terre en République du Bénin. L’Art.6 est on ne plus intéressant pour l’affirmation du rôle de l’Etat.
A présent, voyons les implications de la levée éventuelle de l’ambigüité sur le propriétaire de la terre au Bénin et de la nécessité de réviser l’actuel code en vue de la correction des nombreuses insuffisances qu’il comporte.
Primo, le Titre 1 pourrait s’intituler : « Du préambule » ou bien « Des principes et dispositions généraux ». Je propose ce réaménagement afin que l’Art.1 du nouveau code revu soit libellé comme suit par exemple : « En République du Bénin, la terre appartient à l’Etat. L’Etat veille à un accès équitable à la terre des béninoises et béninois sur toute l’étendue du territoire national aussi bien pour les besoins de logement que pour les activités économiques, source de la richesse nationale et du bien-être de l’ensemble de la population ».
L’Art.2 quant à lui pourrait être : « Le présent code détermine et établi les conditions d’occupation et d’exploitation de la terre en République du Bénin ainsi que les modalités des différentes transactions concernant la terre ».
Autres corrections majeures qu’il faudra opérer, ce sont par exemple : i- l’abandon de la dénomination ‘’Domaine public nature’’ (Paragraphe 1 de la Section 2 du Chapitre 2 du Titre 5) pour la dénomination suivante : ‘’Domaine interdit d’occupation et d’exploitation par les privés’’.
ii- La disposition de l’Art.267 qui indique que la confirmation de droits fonciers des biens immeubles du domaine public artificiel a lieu dans les mêmes conditions et selon la procédure établie ; c’est-à-dire de la même manière qu’un bien immeuble appartenant à un individu n’est rien d’autre qu’un aveu du reniement de la primauté de l’Etat sur la terre. L’Etat qui organise les modalités d’acquisition des biens immeubles par les individus ne peut se confondre encore à eux. Par conséquent, la confirmation des droits fonciers des biens immeubles du domaine public artificiel (de l’Etat y compris des collectivités territoriales) doit se limiter aux décrets et autres arrêtés pris par les Ministres ou les Maires. Une telle affirmation de l’autorité de l’Etat, si elle parvenait, permettra d’enterrer définitivement la psychose inutilement créée autour de la sécurisation des domaines publics tels que les écoles et les centres de santé qui sont les services publics les plus répandus dans le pays. Toutefois l’Etat et les collectivités territoriales devront aussi adopter la matérialisation systématique des limites des domaines publics et autres sites abritant les services publics ou infrastructures socio-communautaires. Le défaut de matérialisation des limites des domaines publics est jusqu’à nos jours une des faiblesses majeures entretenues par l’administration en général. Cette négligence est le facteur capital de l’empiètement des domaines publics et par ricochet des velléités de leurs contestations par des individus bien ‘’avertis’’. Dans le même ordre d’idées, il faudra bannir la donation du privé vers le public pour plutôt user systématiquement de l’acte d’utilité publique avec ses implications. Ceci signifie que pour tous les sites et domaines des services et administrations publics sur toute l’étendue du territoire national, il faut procéder à la régularisation de l’affectation desdits sites et domaines à travers leurs délimitations effectives et la prise d’arrêtés ou textes qu’il convient. Attention : La régularisation par la prise d’acte d’utilité publique ne veut pas dire de rechercher et de dédommager les présumés propriétaires de ces domaines où les écoles ou infrastructures sociocommunautaires sont implantées depuis plusieurs décennies.
En effet, la notion de donation impacte négativement aussi les actions au profit des communautés dans le cadre des projets financés à la base par les PTF et parfois même l’Etat. Les supposés donneurs usent très souvent de comportements mal intentionnés de toutes sortes (et cela devient une mode malicieuse) pour décourager les autres membres du groupement bénéficiaire (qui abandonnent un à un) pour s’approprier, tout seul, les acquits après investissement.
Le dernier point que je voudrais évoquer et sur lequel je veux appeler à une réforme révolutionnaire est le titre foncier (TF). Le titre foncier tel qu’il est prévu dans le CFD en vigueur, est le seul niveau de confirmation du droit de propriété en matière foncière. Avant de m’interroger sur le pourquoi et comment du TF, c’est l’Art.511 du CFD qui attira mon attention. En disant : « …Tout lotissement effectué sur un domaine ne disposant pas de Certificat de propriété foncière est puni d’une amende et d’une peine d’emprisonnement…», on comprend aisément qu’il y a une disposition qui permet cette activité de lotissement par des individus. Effectivement l’arrêté interministériel n° 38
/MUHA/MDGLAAT/MERPMEDER/MCTIC/DC/SGM/DGDU/DGFCC/DUAL/DF/SA du 12 mai 2015 qui régit les opérations de lotissement en République du Bénin dispose que des individus peuvent réaliser des opérations de lotissement s’ils en font la demande conformément aux textes.
Si on peut définir vulgairement le lotissement comme une opération qui consiste à dessiner le plan d’un village ou d’une ville, c’est vraiment incompatible, à mon sens, que le lotissement puisse être une activité réalisable par un individu, fut-il détenteur du TF de son domaine. Prévoir que le lotissement peut être réalisé par un individu sur son domaine traduit là encore un autre visage de la passivité de l’Etat.
L’autorité de l’Etat doit être restaurée dans le secteur du foncier et domanial. Pour tout lotissement, c’est à l’administration (l’Etat ou les collectivités territoriales) de déterminer les lieux et de procéder à l’expropriation des présumés propriétaires pour cause d’utilité publique.
Une fois ce manquement grave corrigé, on peut alors se poser la question de la pertinence du TF pour la confirmation de tout droit de propriété sur la terre. Si la compétence exclusive de réaliser les lotissements revient à l’Etat ou les collectivités territoriales, quelle va être la différence fondamentale entre une attestation de recasement et le TF ? Un parallèle avec l’obtention d’un diplôme national qui part de l’inscription dans une école dans le pays, du dépôt des dossiers pour la participation à l’examen et à la composition. Après la composition, la réussite est déclarée à travers les notes obtenues inscrites sur le relevé de notes. On vous délivre ensuite une attestation de réussite et après le diplôme correspondant ; tout cela sans autre démarche particulière. C’est dire que, si on tient forcément au TF, il suffit de le délivrer aux ayant droits après leur avoir délivré l’attestation de recasement après le bouclage d’une opération de lotissement. Sur les terres rurales par contre, les dispositions actuelles relatives au TF peuvent être maintenues comme mesure pour freiner ou contrôler la vente à ce niveau.
Par ailleurs, le TF au lieu d’être la règle pourrait être une exception et exigée aux étrangers qui acquièrent une parcelle ou un domaine sur le territoire national (loti ou terre rurale).
Sans avoir la prétention d’aborder dans cette analyse succincte tous les aspects de l’actuel CFD susceptibles d’amélioration, je voudrais tout de même, avant de terminer, plaider pour la réintégration du Permis d’habiter. En prônant la restauration de l’autorité de l’Etat sur le facteur qui en détermine son existence à savoir la terre, l’Etat doit aussi demeurer le garant et l’exemple dans les choses selon les règles de l’art. Il est vrai que le Permis d’habiter tout comme le Permis de construire ont été banalisés jusque-là dans leur délivrance. Ce qui a certainement expliqué le retrait du Permis d’habiter à l’occasion de la loi 2017-15 du 10 août 2017. Comme la loi ne dispose pas que du présent, le permis d’habiter peut être réintégré en précisant mieux les conditions particulières de sa délivrance.
En effet, il est bon de savoir que le Permis d’habiter est un document précieux qui traduit d’une part, la responsabilité de l’administration publique puis d’autre part, son intransigeance quant au respect des normes imposées dans les constructions. Normalement, l’individu qui reçoit son attestation de recasement à la suite d’une opération de lotissement ne devrait pas aller commencer à ériger une maison si la collectivité n’a pas fini les travaux primaires permettant d’accueillir des vies sur le site. Le Permis de construire intervient entre les deux précédents, lorsque le site est astreint à des règles spécifiques de construction ou pour certains types de construction (tel que les étages à partir d’une hauteur donnée) quel que soit le lieu.
Les insuffisances du CFD et les pratiques que son application a générées justifient, à n’en point douter, les décisions pertinentes du Gouvernement de son Excellence le Président TALON depuis le début de son premier mandat pour l’assainissement du secteur des lotissements au Bénin.
Au nom de tout ce qui précède, j’exhorte les Députés de la neuvième législature à une relecture profonde de l’actuelle loi N° 2017-15 du 10 août 2017 portant Code Foncier et Domanial en République du Bénin.
GARBA SAY Abdou-Wahab,
Conseiller communal BR Kalalé,
Spécialiste du développement local