UNE VIE UN METIER : Binda N’gazolo parle de ses 45 années de conteur professionnel

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UNE VIE UN METIER

Binda N’gazolo parle de ses 45 années de conteur professionnel

Très longtemps considérés comme des bibliothèques en Afrique, les conteurs ou diseurs de récit sont au centre de nouveaux espaces de vie. A travers leurs histoires, ils participent à la construction ou la reconstruction du tissu social. Avec les mutations de la société, certains font des contes leur métier afin de sauvegarder ce patrimoine immatériel propre aux traditions africaines. Ainsi, du Cameroun à la France, Bidan N’gazolo se présente comme celui qui fait la fierté de toute l’Afrique à travers ses contes qui ont bercé et continuent d’agrémenter encore l’enfance de plusieurs européens comme africains. A travers cette interview exclusive, l’artiste fait un retour sur ses 45 années de carrière et propose à partir de là des thérapies pour un nouvel envol pour le continent noir. Lisez plutôt

Présentez vous à nos lecteurs 

On m’appelle Bidan N’gazolo et je suis originaire du Cameroun. Je me considère avant tout comme un Africain parce que je suis profondément un panafricaniste. J’appartiens à un grand groupe ethnique qu’on trouve au centre du Cameroun incluant la Guinée Équatoriale et le nord du Gabon.

Dites nous, comment êtes vous devenu conteur de récit ?

L’aventure a commencé avec le souffle si j’ose le dire. Je dis souvent aux gens que j’ai appris à conter comme on apprend à marcher sans même me demander comment j’en suis arrivé là parce que j’ai eu la chance d’exister à l’époque bénie, parce qu’il avait ceux qui étaient là avant l’arrivée des colons et qui avaient une conception de la vie autre que celle dont nous, nous avons héritée suite à la violence de la colonisation. Tout le monde contait au moment où j’étais encore petit. Cet espace de convivialité d’ordre générationnel où les plus jeunes apprenaient avec les anciens la prise de parole en public, enrichissaient de ce fait leur vocabulaire et bénéficiaient des expériences de vie des humanités qui les ont précédés. Le conte est donc le socle essentiel du système éducatif traditionnel africain, le socle essentiel de l’apprentissage de la vie. Des leçons qu’on peut tirer des expériences de vie de l’évolution de l’humanité génération après génération.

J’ai donc appris à conter comme ça en 1971 et je puis dire que je totalise aujourd’hui 45 années d’expérience.

Quel était votre sentiment après votre toute première montée sur scène?

J’ai fait ma toute première mise en scène avec la troupe de l’Université de Yaoundé en 1982. Mais avant ça dans les années 75, 76 je contais et je travaillais avec une troupe du théâtre. D’ailleurs j’ai commencé le théâtre avec un frère béninois parce que j’ai grandi dans un quartier panafricaniste où il y avait le mélange de toutes les nationalités. Et je puis vous dire que mon premier cachet de comédien je l’ai reçu en contant. Parce que je n’avais plus de sous et je me disais qu’est ce que je peux faire pour gagner de l’argent. C’est donc comme ça j’ai décidé d’aller dans les brasseries du Cameroun puisque j’avais ce don de conter des récits. Déjà je n’étais même pas bien habillé, et j’arrive devant le planton qui me regarde et me demande ce que je voulais. Je lui dis que je souhaiterais rencontrer le directeur administratif et financier. Il a voulu refuser un instant mais vu ma détermination il ne savait pas trop comment faire. Il a donc fait appel à son supérieur qui me pose la même question. Vu mon air sérieux, ils n’avaient d’autres choix que de me conduire vers le directeur. C’est alors que je fais comprendre à ce dernier que j’étais là pour lui faire une proposition qu’il n’avait pas la possibilité de refuser. Il a rigolé, parce que quand vous êtes dans une négociation et vous arrivez à mettre de votre côté les rieurs, vous avez déjà gagné quelque chose. Je lui ai donc dit que d’habitude les gens viennent ici pour lui demander de l’argent, mais moi je ne demande que son attention. J’ai continué en lui faisant comprendre que je suis conteur et j’ai remarqué que l’urbanisation a fait que l’espace du conte a disparu et dans leur service, ils s’occupent de la vente des produits qui s’adressent plus aux jeunes gens, les élèves, les étudiants et autres. Je lui ai donc proposé à me rendre disponible à faire la promotion de leurs produits de brasserie par le conte bien sûr. Il s’agira donc d’utiliser leur camion de promotion pour nous rendre dans les écoles et universités. Ils feront la promotion de leurs boissons au moment où moi je raconte. Mais avant, il va falloir qu’il voit ce que je fais. On s’est donc entendu sur cet accord. Je n’avais même pas un endroit pour recevoir un directeur de son rang, c’est comme ça je suis donc allé à l’Institut Français solliciter l’aide du directeur pour qu’il mette à ma disposition la salle de spectacle climatisée pour mon audition. Ce dernier accepta et j’ai appelé ce jour même le directeur de la brasserie du Cameroun qui est venu accompagner de son staff. J’ai donc raconté mon tout premier conte que j’ai transcrit, j’ai raconté l’histoire et à la fin le monsieur m’a dit « vendu », 50.000 Fcfa à l’époque c’était une fortune.

C’est comme ça j’ai eu mon premier cachet de comédien en contant et vous imaginez ce que ça peut représenter pour moi. J’aurais dû comprendre que c’est ce que j’avais à faire mais je contais par passion, j’ai conté longtemps bénévolement et les gens ne voyaient pas trop la portée de ce que je faisais. J’ai continué donc de conter petit à petit et le résultat de ça est que la première fois qu’on me propose un premier rôle 60 ans après, c’est un rôle de conteur.

Quels sont les moments heureux qui vous ont marqué au cours de vos 45 ans de carrière de conteur ?

Le premier fait est que les européens qui nous ont dit qu’on n’avait rien à raconter nous africains, sont les premiers qui m’ont permis de prendre conscience de la valeur de ce dont j’étais conteur en réalité. Les gens ont commencé par m’inviter en Europe pour conter dans les festivals de théâtre. Beaucoup plus tard on m’invite pour une résidence de formation, un peu comme ce que je fais ici. Et sur la fiche technique j’ai notifié que je contais avec les enfants à partir de 7 ans parce qu’à partir de cet âge les enfants ont un vocabulaire un peu développé. On était trois conteurs dont Taxi conteur et un autre du Bénin et c’est moi qu’on programme pour la session des petits. Je leur ai dit que ce n’est pas possible, je n’étais pas en mesure de raconter avec les petits mais ils m’ont fait comprendre qu’il n’y avait plus possibilité de changer les choses car tout était déjà programmé. On était tous bloqué et je n’avais pas autre choix que de conter. J’avais déjà en moi des histoires des enfants de 5 ans mais ce jour là il s’agissait des enfants de moins de 5 ans, j’ai donc commencé par raconter des histoires de mon répertoire qui étaient de l’ordre ‘‘du petit oiseau qui chante et qui danse »,  »du petit orphelin  ».

Imaginez 50 mioches en couche culotte qui m’accompagnent en tapant les mains à la fin de mon histoire et qui accoururent pour me faire tous des bisous. Ils étaient tous des blancs, il n’y avait qu’un seul noir dans le lot. C’est quelque chose qui m’a tellement remué et m’a convaincu qu’il n’y a d’humain que l’humain et que les histoires de discrimination, de racisme sont des choses qui arrivent après parce que ces enfants là n’ont pas vu un noir devant eux mais plutôt un être humain qu’ils ont aimé, qu’ils ont adopté parce qu’ils ont senti que je les aimais et on a partagé quelque chose de particulier. C’est l’un des souvenirs les plus émouvants de ma carrière de conteur.

Le second, ça se passe dans le sud de la France. Il y avait un festival qui se tient une nuit vers 19h dans un jardin public avec environs 1 500 spectateurs. Nous étions 5 conteurs et le dernier passait à 23h et c’était moi. Avant moi, il y avait un collègue conteur canadien qui avait un style de conte assez lancinant et j’étais tout à coup découragé car pour moi après lui, il n’y aura plus personne, ce qui n’a pas été le cas heureusement car tout le monde était encore à sa place.

Après lui je monte sur scène et je raconte une histoire qui était ma spécialité, ce qu’on appelait en Europe à l’époque médiévale les chantres fables qui consistaient donc à conter et chanter en même temps. Je lance donc le chant et le public répétait après moi. Imaginez donc 1 500 personnes se lever comme un seul homme et chanter après moi une chanson dont ils ne maitrisaient même pas les paroles car chose surprenante ils étaient tous des blancs. J’étais tombé en transe ce jour là, c’était incroyable. J’ai bondi sur la scène, je me suis jeté sur la scène, je courais dans tous les sens et j’aurais même pu cogner la tête d’un enfant. C’était tout simplement merveilleux et je n’ai plus jamais vécu ça avant ce jour là.

Quels ont été alors les moments malheureux ?

Moment malheureux, je n’en ai pas connu vraiment dans ma carrière de conteur. L’épreuve la plus dure que je peux qualifier de malheureuse, c’est ce jour où je n’ai pas pu finir un conte. Ça se passait en France. J’étais dans une maison de l’un des quartiers qu’on appelle quartier sensible en France où on a parqué les mêmes gens dans le même endroit et donc c’était des mamans plutôt de l’Afrique du nord. Quand je suis arrivé, j’ai eu droit à la pire des configurations qu’on puisse avoir dans ces cas là, c’est-à-dire les enfants devant et les mamans derrière. Donc vous contez et vous jouez dans le même temps aux nounous parce qu’il y avait aussi des bébés. Il y avait une petite fille qui devait avoir 5 ans, et quand je dis 1 elle dit 2, quand je dis 3 elle dit 4, c’est-à-dire qu’elle voulait aussi raconter. Je lui ai donc dit d’attendre je vais finir parce qu’on ne pouvait pas conter ensemble ou carrément elle vient pour nous raconter son histoire. Elle commence et elle se perd, elle ne se rappelait plus de la suite. C’est alors que je lui ai fait comprendre qu’elle devait se taire et écouter mon histoire. Mais malheureusement elle n’a pas voulu se taire pour laisser les autres écouter, elle continuait par m’imiter quand je disais 1 elle disait 2. Sa mère était elle aussi dépassée par les évènements. J’étais obligé de changer de stratégie et je suis allé vers les chants puisqu’avec les chants elle ne pouvait pas intervenir.

J’ai fini et c’est en ce moment que les mamans derrière me demandaient si elles pouvaient connaitre la fin de l’histoire précédente. Mais moi je leur ai fait comprendre que ce n’était plus possible, qu’elles auraient pu choisir autrement en veillant sur les enfants, ça m’aurait facilité la tâche à faire passer l’histoire, mais comme c’était encore à moi de gérer les enfants, j’ai préféré les privilégier eux. Donc voilà, c’est l’un des souvenirs les plus pénibles que je peux raconter.

Vous incarnez telle une bibliothèque, l’histoire de plusieurs générations, comment pensez-vous léguer ce savoir là aux jeunes générations pour qu’elles puissent continuer l’œuvre que vous avez commencée depuis des années déjà ?

La première fois que je suis allé dans mon village quand ma carrière de conteur a commencé par prendre, les gens m’ont demandé ce que je faisais comme métier puisque je voyageais beaucoup. Je leur ai dit que j’étais conteur mais ils ont été étonnés par ma réponse car pour eux ce n’est pas un travail ça, et que c’est quelque chose que tout le monde faisait facilement là-bas.

J’ai continué en leur faisant remarquer que comme tout le monde ne le fait plus aujourd’hui, moi on me paye pour le faire. Depuis cette période là donc, j’ai continué à conter sans me faire d’illusion, sans penser que ça allait transformer quoi que ce soit et plus je racontais, plus je réalisais l’importance de la transmission. Ce qui fait que j’ai pratiqué le conte sur toutes ses formes et le socle essentiel pour moi c’est ça parce qu’on a été configuré à déconsidérer tout ce qui vient de nous. Nous méprisons notre patrimoine, et de ce fait on a considéré que tout ce qui vient de nous est satanique et diabolique et que notre spiritualité, c’est de la sorcellerie. Et on a jeté le bébé avec l’eau de bain. Nous sommes donc tenu de faire le lavage de cerveau à l’envers et il faut absolument qu’on puisse laisser quelque chose, transmettre ce qui nous a été transmis aux générations à venir et par tous les moyens. Que ce soit par la parole, par les outils, les médias ou bien le conte comme je le fais déjà, transmettre parce que c’est la seule chose qui nous reste à faire, si non on sera indéfiniment ce que j’appelle les ‘’avatars’’. En tant qu’Africain nous vivons dans un monde où on nous a rendu étrangers à nous même, et on nous a configuré pour fonctionner avec des logiciels des autres, des récits des autres ce que j’appelle donc des avatars.

Votre mot de la fin ?

Comme mot de la fin, comme je le dis souvent, c’est le récit qui fait, c’est le récit qui défait. C’est par le récit qu’on nous a défaits de notre part d’humanité, et c’est aussi par le récit que nous allons défaire tout ce qui a été fait comme méfait, ce qui n’aurait jamais dû être défait. Et c’est uniquement par le récit qu’on pourra faire ça. Il faut donc changer de système d’exploitation, changer de logiciel et nous réapproprier nos imaginaires, nos spiritualités, nos cultures parce qu’aucun progrès économique ne peut aboutir s’il n’est enraciné dans une culture.

Propos recueillis par Wahabou ISSIFOU et transcrits par Samira ZAKARI

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