NON LÉGALISATION DE L’AVORTEMENT DANS PLUSIEURS PAYS AFRICAINS : Pour contrer les barrières de la loi, des femmes se livrent à la mort . La légalisation de l’Ivg, l’unique option pour arrêter la saignée

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L’avortement reste encore illégal dans plusieurs pays africains. Il est donc pratiqué dans les centres de santé et cliniques en cas de force majeure dû à une maladie ou lorsque la grossesse met en danger la vie de la future mère. Ainsi, pour contrer les restrictions de la loi et les barrières sociologiques, des femmes préfèrent passer par la clandestinité, se livrant donc aux conséquences désastreuses de l’avortement. Face à cette situation, la légalisation de l’avortement dans l’ensemble des pays africains se présente comme l’ultime solution pour arrêter la saignée.

Samira ZAKARI

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms), trois sur quatre avortements pratiqués en Afrique ne sont pas sécurisés. Une étude de l’Institut Guttmacher publiée en décembre 2020 indique qu’en Afrique subsaharienne, plus de trois quarts des avortements seraient non sécurisés à cause de la non légalisation de la pratique. Et même dans les pays comme le Bénin, la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert, le Mozambique où l’avortement est autorisé par une loi, le jugement de la société et la position de la religion donnent une force à la clandestinité.

Quand la société et la religion favorisent la clandestinité

Elle n’avait que 16 ans quand Mouni (nom d’emprunt), une jeune élève au Ceg Adjohoun au Sud-Bénin a décidé d’arrêter clandestinement une grossesse sur les conseils de sa mère afin d’éviter le regard de la société. Elle avale donc des comprimés obtenus au marché noir par sa génitrice. Une erreur qui lui sera malheureusement fatale. Mouni n’est pas un cas totalement isolé de jeunes filles stigmatisées qui perdent la vie dans un avortement clandestin.

À Parakou, une ville située au Nord du Bénin, une jeune femme s’est vue rejeter par sa belle famille parce qu’elle a décidé d’interrompre une grossesse qu’elle n’a pas désiré qui est survenue à un moment inapproprié pour elle. « J’ai décidé d’avorter une grossesse que j’ai contractée. Pour ma belle famille, cette décision prouve que je ne suis pas sérieuse. Elle a demandé à son fils de me quitter. Je n’étais pas prête à porter cette grossesse qui est survenue six mois après mon recrutement dans une entreprise. Je n’avais pas le choix, mon poste était menacé alors que mon fiancé au chômage, n’arrivait pas à subvenir à tous mes besoins. J’ai été jugée par mon entourage qui ne me comprenait pas dans mon choix », a-t-elle confié.

Plus loin au Maroc, l’un des pays africains où la question de l’avortement est encore tabou, une adolescente de 15 ans est morte dans la nuit du 5 au 6 septembre 2022 des suites d’un avortement clandestin selon Jeune Afrique. Un drame qui a conduit différents acteurs de la société à intensifier le débat pour la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (Ivg). Mais jusque-là, aucune avancée concrète.

La position de la religion

L’église catholique à l’instar des autres confessions religieuses s’oppose à toutes formes d’avortement et enseigne qu’il s’agit d’un acte immoral. En effet, selon le catéchisme catholique, « la vie humaine doit être respectée et protégée de manière absolue depuis le moment de la conception. Dès le premier moment de son existence, l’être humain doit se voir reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels le droit inviolable de tout être innocent à la vie ».

Plus loin, à travers un communiqué en date du 21 octobre 2021, la Conférence Episcopale du Bénin (Ceb) s’est opposée à la légalisation de l’avortement au Bénin. À en croire la Ceb, « l’avortement est un acte inhumain qui détruit la vie du fœtus et celle de la mère à plusieurs égards en raison de ses multiples conséquences physiologiques, psychologiques, spirituelles et mystiques ». Elle interdit donc à ses fidèles d’y recourir.

Conséquence de l’avortement clandestin

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms), l’avortement non sécurisé constitue l’une des principales causes de décès maternels et de morbidité. « Il peut entraîner des complications physiques et mentales ainsi qu’une charge sociale et financière pour les femmes, les communautés et les systèmes de santé », a indiqué l’organisation. Des cas de femmes traînant des séquelles ou même ayant laissé leur vie dans un avortement non sécurisé sont nombreux.

Sauf par miracle, Aïssatou la quarantaine, femme d’affaires au Bénin a perdu tout espoir d’enfanter à cause d’un avortement pratiqué, il y a vingt-cinq ans, et qui a endommagé son utérus. Venant d’une famille musulmane très ancrée, Aïssatou, élève à l’époque, ne pouvait pas prendre le risque d’avouer à ses parents qu’elle avait contracté une grossesse d’un camarade de classe. Elle a donc sollicité les services d’un voisin du quartier, un supposé aide-soignant, pour s’en débarrasser. Malheureusement l’opération tourne au drame et conduit Aïssatou aux urgences. Depuis lors, toutes les tentatives pour retomber enceinte sont vaines.

La légalisation de l’avortement en Afrique, une panacée pour sauver les femmes 

Pour prévenir tous ces risques, le décret sur l’avortement adopté par le gouvernement béninois indique que l’Ivg ne peut se pratiquer que par un médecin, une sage-femme ou un infirmier dûment habilité et dans les formations sanitaires publiques ou privées. Ils doivent disposer d’un agrément spécifique délivré par le ministre de la santé. Par ailleurs, le décret indique que tous les établissements de santé doivent remplir les conditions techniques exigées, assurer une prise en charge psychologique et sociale de la patiente avant et après l’intervention.

Normalement, l’avortement doit être pratiqué par des spécialistes qui sauront orienter la femme sur les options qui s’offrent à elle pour préserver sa santé. Selon le gynécologue Simon Seto, « une interruption volontaire de grossesse peut intervenir dès le premier mois jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée soit deux mois et demi de grossesse. Elle doit se faire par un spécialiste de santé en la matière car être médecin, gynécologue ou sage-femme ne suffit pas pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Il faut l’avoir appris et en avoir la maîtrise, disposer du matériel approprié pour le faire et d’un environnement approprié pour faire ce genre d’intervention. Aujourd’hui on ne parle plus de curetage, ni de sondage encore moins d’introduction d’objets tranchants, perforants pour exécuter une interruption volontaire de grossesse ». Malheureusement dans la clandestinité, toutes ces conditions suscitées ne sont pas forcément respectées.

Du coup, plusieurs femmes perdent la vie chaque année, suite à un avortement pratiqué dans la clandestinité. Cependant autorisé ou non, des femmes continueront de recourir à l’avortement clandestin tant qu’elles ne se sentiront pas prêtes à garder une grossesse pour une raison ou une autre. D’où la nécessité pour les Etats africains de penser à la légalisation de la pratique pour plus qu’aucune femme ne perde la vie pour un choix d’avortement.

Les Osc et les Organisations Non Gouvernementales (Ong) spécialisées dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive doivent intensifier les plaidoyers à l’endroit des gouvernants pour la dépénalisation de l’avortement, nécessaire plus que jamais. Il en est de même pour la société et les confessions religieuses qui doivent se montrer plus clémentes envers les personnes qui font le choix de l’avortement.

 

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