Sébastien Ajavon a envoyé une lettre au président de la République du Bénin Patrice Talon à travers l’un de ses avocats. Dans la correspondance publiée par Financial Afrique reprise sur le site de Banouto, maître Antoine Vey, avocat au barreau de Paris a invité l’État béninois à appliquer les décisions de la Cour Africaine des Droits de l’Homme (Cadh). Voici l’intégralité de la lettre.
Wilfried AGNINNIN
Lettre ouverte à M. Patrice Talon, Président de la République du Bénin
Par Me Antoine Vey, avocat au barreau de Paris
Monsieur le Président,
Le Bénin, naguère surnommé « Quartier latin de l’Afrique, a longtemps fait figure de laboratoire démocratique. Le souvenir de la conférence nationale ayant débouché sur l’élection présidentielle libre et disputée de mars 1991 demeure vivace. Votre pays a été le premier pays d’Afrique francophone à connaître une alternance apaisée, sans heurts ni violences. Pendant près de trois décennies, la Constitution a offert un cadre juridique stable, sécurisé et consensuel.
Votre élection en 2016 a suscité une vague d’espoir. Or, depuis votre investiture, le Bénin connaît un recul des libertés publiques sans précédent.
D’abord, et sous couvert d’assainir le jeu politique, vous avez dévoyé le processus électoral afin de pouvoir le contrôler et empêcher toute expression dissidente d’accéder aux élections. Les conditions de candidature ont été durcies, tandis qu’une loi sur les partis politiques a restreint indûment le droit d’association, en violation flagrante de la Charte africaine des droits de l’homme. Tout au long de ce processus de détournement, vous avez pu compter sur le soutien indéfectible de la Cour constitutionnelle, dont le Président n’est autre que votre ancien avocat personnel.
L’opposition s’est de facto trouvée exclue des législatives d’avril 2019, qui se sont déroulées dans un climat de violence inédit, sur fond d’abstention record. La chambre monocolore issue de ce scrutin s’est empressée de réviser la Constitution pour limiter encore les conditions de candidature à l’élection présidentielle. A quelle fin, si ce n’est vous laisser la voie libre pour un second mandat, alors que vous aviez fait du mandat unique l’une de vos grandes promesses de campagne en 2016 ?
A cette première trahison s’ajoutent les atteintes répétées et désormais institutionnalisées à la liberté d’expression. Près d’une dizaine de journalistes, dont Ignace Sossou, ont été emprisonnés depuis l’édition en 2018 du Code du Numérique, qui a accru la répression des délits de presse et instauré un climat de censure et de peur, dénoncé par Amnesty International. Au cours des dernières législatives le 28 avril 2019, l’accès aux réseaux sociaux a été bloqué, puis Internet coupé sur l’ensemble du territoire. En quatre ans, le Bénin a reculé de plus de quarante places au classement RSF de la liberté de la presse.
La Justice elle-même a été instrumentalisée pour éliminer toute voix dissonante : l’ancien Premier ministre Lionel Zinsou, l’ancien ministre des Finances Komi Koutché, l’ancien maire de Cotonou Lehady Soglo et le leader de l’opposition Sébastien Ajavon, pour ne citer qu’eux.
M. Ajavon, en particulier, a fait l’objet d’un harcèlement sans précédent : cabale politico-judiciaire liée à un prétendu trafic international de stupéfiants, dont il a finalement été relaxé tant le dossier révélait des montages grossiers, suspension des médias dont il était propriétaire, asphyxie financière par le biais d’un redressement fiscal colossal, et pour finir condamnation en octobre 2018 à 20 ans de prison par une juridiction d’exception, opportunément créée deux mois auparavant, sans aucune garantie en matière de droit à un procès équitable. Le pourvoi en cassation n’a toujours pas été examiné par la Cour suprême.
Aucun observateur indépendant ne peut accorder le moindre crédit à une telle mascarade judiciaire.
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a par la suite rendu pas moins de quatre décisions favorables à M. Ajavon. Elle a notamment enjoint au Bénin d’annuler sa condamnation inique. Le Bénin n’a exécuté aucune de ces décisions.
La Constitution béninoise affirme la force obligatoire des principes de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Vous le savez, les dispositions de la Charte font partie intégrante du droit béninois et sont même dotées d’« une valeur supérieure à la loi interne ». En tant que garant de la Constitution, il vous appartient de faire mettre votre pays en conformité avec la loi fondamentale qui le régit : le Bénin doit appliquer les décisions de la Cour africaine. La condamnation de M. Ajavon doit être annulée.
Tant que M. Ajavon n’aura pas été rétabli dans ses droits de citoyen, tant qu’aucune opposition ne pourra s’exprimer, le Bénin ne pourra plus prétendre au titre de démocratie dont il s’est si longtemps enorgueilli.