INFERTILITÉ DANS LES COUPLES AU BÉNIN : Entre humiliations de la belle famille et railleries des proches . Le calvaire des femmes sans enfant

7 mois ago | Written by
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L’un des rôles reconnus depuis la nuit des temps à la femme dans la société est celui de procréer. Au Bénin où la société est restée fortement ancrée dans la tradition, mariage rime toujours avec procréation, constitution d’une famille. Ainsi, quand le cri d’un bébé tarde à être entendu dans un couple après le mariage, la femme est directement pointée du doigt. Traitée à tort ou à raison d’infertile, elle subit le mauvais regard et la stigmatisation de la société. Bienvenue dans le monde du calvaire des femmes sans enfant où l’infertilité est toujours conjuguée au féminin.

Samira ZAKARI

À 33 ans, Aïcha B. vit depuis 8 ans dans un mariage où elle subit quotidiennement les humiliations et les railleries de ses proches à cause de son incapacité à satisfaire les attentes de sa belle-famille qui s’impatiente de la voir donner un enfant à son mari. « A peine trois mois, après notre mariage, mon époux recevait constamment les appels de mes beaux-parents qui lui demandaient si je ne suis pas assez rassasiée comme cela. Pour eux, il était temps de recevoir la bonne nouvelle de ma grossesse. Comme ce n’était pas le cas, c’était comme si je profitais injustement des biens de leur fils sans faire le travail», a-t-elle confié.

Marianne A. âgée de 50 ans, n’a jamais connu la joie d’être maman à cause d’un problème de santé contre lequel elle se bat toujours. Depuis plusieurs années, elle subit la stigmatisation de ses proches qui la traitent de tous les noms pour une situation qu’elle n’a pas souhaitée. «Au quartier, il y en a qui disent que j’ai sacrifié tous mes enfants dans la sorcellerie pour de l’argent. On m’appelle “femme à utérus vide ”. C’est quand même triste, j’en souffre énormément», témoigne-t-elle, les larmes aux yeux.

En Afrique où la procréation est considérée comme la consécration du mariage, la situation que vivent Aïcha et Marianne est la réalité de plusieurs femmes dans les foyers sans enfants. Aimé Gbaguidi, psychologue explique ce comportement de la société vis-à-vis des femmes ayant des problèmes de conception. À l’en croire, « dans nos sociétés traditionnelles la femme est perçue comme l’être qui a reçu l’attribution de procréer, de donner vie. De ce fait, l’ignorance amène à penser que l’homme n’a rien à voir dans ce rôle qui est naturellement attribué à la femme. On pense que c’est elle et elle seule qui refuse à son corps de “fabriquer” les enfants. Du coup, elle est tenue pour responsable».

Infertilité, ce qu’il faut savoir

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms), l’infertilité est une maladie du système reproducteur masculin ou féminin, définie par l’incapacité d’obtenir une grossesse après 12 mois ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés. Un nouveau rapport de l’Oms publié en avril 2023 indique qu’une personne sur six dans le monde est confrontée au problème d’infertilité à un moment de sa vie. Dans une interview accordée en 2018 au quotidien du service public ‘’La Nation’’, Dr Justin Léwis Dénakpo, professeur titulaire de gynécologie obstétrique à la faculté des sciences de la santé de Cotonou a fait savoir qu’au Bénin, c’est 20% des couples qui se forment qui ont des difficultés à avoir une grossesse. Des chiffres alarmants qui pourraient être en deçà de la réalité à ce jour tant les données complètes demeurent difficiles à compiler.

Cependant, le constat reste tel que la femme est tenue pour la première responsable lorsque l’infertilité perdure dans un couple. Pourtant, il est prouvé que le problème d’infertilité peut se poser aussi bien chez la femme que chez l’homme.

Causes de l’infertilité

À en croire les spécialistes de la santé, 30% des cas d’infertilité sont d’origine masculine, 30% d’origine féminine. Les deux partenaires sont en cause dans 30 autre % des cas et les raisons restent inexpliquées dans les 10 % des cas restants.

Selon le Dr Justin Lewis Dénakpo, l’infertilité peut être causée chez l’homme par des anomalies des spermatozoïdes. Il s’agit des anomalies de nombre, de mobilité et de forme. À ces causes s’ajoutent les Infections Sexuellement Transmissibles (Ist), les expositions aux toxiques, les rayonnements électromagnétiques comme les bornes relais de la téléphonie mobile, l’altération du milieu testiculaire, l’obstruction des conduits, la pathologie au niveau de la prostate, les problèmes d’éjaculation ou d’érection, l’insuffisance du nombre de spermatozoïdes ou spermatozoïdes peu mobile.

Par contre, les causes les plus fréquentes chez la femme sont entre autres, les infections dues aux microbes transmis sexuellement, l’endométriose et les troubles de l’ovulation. L’obstruction ou la lésion des trompes de Fallope et du col de l’utérus ou même le syndrome des ovaires polykystiques, la ménopause précoce, les perturbations endocriniennes telles que le diabète, le problème thyroïdien, les malformations utérines peuvent également favoriser l’infertilité chez la femme.

L’infertilité masculine, un secret de couvent ?

En Afrique où la virilité de l’homme se traduit à tort par sa capacité à concevoir des enfants, la stérilité masculine est un sujet tabou. « Quand c’est l’homme le problème, personne n’en parle. D’autres refusent d’y croire même, pour eux du moment où l’homme est actif et arrive à satisfaire sexuellement sa femme, c’est qu’il est apte à faire des enfants. Quand le problème de conception se pose, difficilement l’homme est indexé, c’est une honte. C’est ainsi dans notre société. Et même quand on veut en parler, c’est dans un cercle restreint en utilisant des codes bien-sûr. L’homme reste le chef de famille », selon Bio Guerra Mama, un sage au quartier Dokparou de Parakou.

Dans son cas, Estelle B. en quête d’enfant depuis 5 ans explique que toutes les tentatives pour convaincre son mari à faire des examens à l’hôpital afin de s’assurer que le problème ne vient pas de lui sont vaines. Ce dernier fuit à chaque fois le sujet, rassurant sa conjointe d’être en bonne santé «Chez moi il n’y a pas de problème. J’ai fait tous les examens qui rassurent de mon aptitude à concevoir. Mais quand j’ai demandé à mon mari de faire de même, cela a créé une grosse dispute entre nous. Même si le problème venait de lui, la société nous interdit d’en parler publiquement. C’est une humiliation. C’est à nous les femmes de supporter», se désole-t-elle.

Désespérées, elles tentent le tout pour le tout

Les cultures et pratiques endogènes occupant une place importante au sein de la société africaine en général et béninoise en particulier, les femmes en quête désespérée d’enfant trouvent refuge auprès des féticheurs et marabouts se faisant passer pour des “supers docteurs ”qui leur promettent des solutions miracle à partir des potions dont eux seuls détiennent le vrai secret. Vulnérables, elles se trouvent coincées dans une spirale ou toute proposition pour trouver une solution à leur problème est la bienvenue peu importe le prix.

Quand vivre n’en vaut plus la peine

Souvent jugées à tort, peu nombreuses sont les femmes qui surmontent la stigmatisation dont elles font objet face au problème de conception. Les plus faibles mentalement développent des problèmes psychologiques comme l’explique le psychologue Aimé Gbaguidi. « Les conséquences psychologiques de cette barbarie sociale sont fâcheuses et énormes. Elle induit chez la femme entre autres, une dépression (sévère), la perte de l’estime de soi, la détérioration de la qualité de vie. La femme vit tout le temps dans une auto culpabilisation car elle se convainc du fait qu’elle est la seule coupable de cette situation considérée comme un châtiment divin », a-t-il expliqué.

Plus grave, le foyer qui était censé être un havre de paix devient tout à coup un vrai cauchemar pour la femme constamment violentée par celui qui lui a juré fidélité dans le bonheur et le malheur. Seule contre tous, nombre d’entre ces femmes ne tardent pas à commettre l’irréparable pour mettre fin à ce calvaire.

C’est avec beaucoup d’émotion et les larmes aux yeux que Ida K. revient sur ce triste événement qui a secoué toute sa famille le 1er janvier 2021. Pendant que toutes les familles étaient dans l’effervescence de la fête du nouvel an, Léa et ses parents pleuraient la disparition tragique de sa sœur qui à bout des humiliations et moqueries de ses proches après 5 ans de quête effrénée d’un enfant a décidé de raccourcir son séjour sur terre. « Pour elle, la vie n’avait plus aucun sens, elle a perdu tout espoir face au manque de soutien de son époux et sa famille dans son combat. Elle était rabaissée constamment par sa belle-famille qui ne manquait aucune occasion pour lui rappeler qu’elle est une énorme erreur dans la vie de leur fils. On la soutenait comme on pouvait de notre côté mais ce n’était pas suffisant. La matinée du 1er janvier, elle met fin à ses jours en consommant du raticide. Elle a été retrouvée étendue sur son lit, son âme ayant quitté son corps », a raconté Léa, toujours sous le choc du départ brusque de celle qu’elle considérait comme son modèle.

Le suivi médical, la meilleure option pour combattre l’infertilité

Aujourd’hui, l’infertilité n’est pas une fatalité avec l’évolution de la science et de la médecine. Ainsi, l’idéal pour le couple face au problème de procréation est de se rapprocher d’un spécialiste afin de déterminer les causes et bénéficier des conseils pour y remédier selon le cas.

Certes donner la vie est l’acte le plus important pour la perpétuation de l’humanité. Cependant, l’absence de progéniture dans le couple ne devrait pas être une responsabilité entièrement imputable à la femme.

En dehors des rôles qui lui sont attribués par la société, la femme est une personne tout comme l’homme avec des droits fondamentaux qui doivent être respectés. Malheureusement, les perceptions socioculturelles de la gent féminine dans les sociétés africaines sont de nature à contribuer à la non-application du principe de l’égalité homme-femme. Un changement de mentalité s’impose donc à tous les niveaux. De même, un suivi psychologique s’avère indispensable pour le couple et beaucoup plus pour la femme exposée à la stigmatisation face au problème d’infertilité.

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