Reçue par la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung, l’ancienne ministre de la microfinance et garde des sceaux du Bénin, Reckya Madougou a tiré la sonnette d’alarme en ce qui concerne le désastre économique qui guette l’Afrique après la pandémie du coronavirus. L’expert international en inclusion financière propose une riposte multidimensionnelle continentale à court, moyen et long terme pour une réelle résilience des économies africaines.
Edouard ADODE
La riposte au coronavirus ne doit pas être uniquement sanitaire puisque cette pandémie cache une catastrophe économique qui pourra être la source d’un désastre humanitaire compte tenu de la structure de l’économie des Etats africains. Ainsi, très tôt des mesures drastiques doivent être prises pour amoindrir le choc économique à venir.
Alors, pour Reckya Madougou, « la pandémie faisant le lit à une traversée de risques liés à notre modèle économique et amplifiés par un capitalisme financiarisé nous rend extrêmement vulnérables à la finitude de l’ordre établi. Cela impose l’organisation d’une riposte multidimensionnelle continentale et une mutualisation des efforts ». Puisque selon l’expert en inclusion économique, il est très probable que la croissance en Afrique subsaharienne devrait se contracter fortement en 2020, passant de 2,4% en 2019 à -5,1 % en 2020, plongeant la région dans sa première récession depuis plus de 25 ans. Elle a souligné que « l’Union Africaine et l’Organisation des Nations Unies annoncent respectivement 20 millions et 50 millions d’emplois menacés de destruction en Afrique du fait de la crise économique ».
Les trois stratégies de riposte selon Reckya Madougou
D’abord, elle préconise des mesures hardies à mettre en œuvre dans l’immédiat en agissant surtout sur des personnes et entreprises vulnérables. « A court terme, il est urgent de protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables. Créer un cadre spécial de mécanismes de résilience. Il s’agirait d’envisager la généralisation bien organisée des banques alimentaires à laquelle il faut associer des directives sanitaires et d’hygiène, des mesures économiques incitatives de reports d’impôts, de subventions salariales surtout dans les entreprises de grande utilité, etc. De même qu’un ajustement provisoire des échéances et garanties de crédit et des modalités des prêts en général », conseille-t-elle.
A moyen terme, elle propose aux Etats la déconstruction des modèles économiques actuels « pour limiter les conséquences de cette récession », c’est-à-dire mettre fin au « capitalisme sauvage », pour « le capital humain et basée sur l’investissement social productif ». S’appuyant sur l’exemple du Kenya où « près de la moitié des Kényans tirent leurs moyens de subsistance auprès de coopératives, où les recettes bénéficient directement aux acteurs producteurs. Le défi est d’œuvrer à construire une économie à la fois libérale et suffisamment régulée pour être solidaire ».
L’informel occupant une place de choix dans l’économie de la sous région ouest africaine surtout dans le secteur de l’alimentation, « j’insisterai sur le secteur alimentaire informel parce qu’il contribue largement à la sécurité alimentaire. Sa contribution à l’emploi est de 72% des emplois non agricoles en Afrique subsaharienne selon l’Organisation Internationale du Travail. Il s’avère donc indispensable de les soutenir en leur offrant un statut légal spécial, des lignes de crédits, de mettre en place des mesures de crédit universel pour la relance et des emplacements adéquats dont l’infrastructure tient compte de la distanciation physique », insiste-t-elle.
Reckya Madougou pense également qu’un moratoire sur les dettes africaines et même une annulation des dettes peuvent apporter un ouf de soulagement aux budgets nationale à moyen terme. Elle ajoute qu’ « outre l’allègement de la dette, les banques multilatérales de développement ont annoncé leur intention de fournir 160 milliards de dollars de financements aux pays pauvres. Ces ressources doivent être dirigées vers les petites et moyennes entreprises et industries (Pme/Pmi) et les micro entreprises qui constituent 90 % des unités commerciales en Afrique ». De même une attention particulière doit être accordée à la formation technique et professionnelle surtout à l’apprentissage dual qui peine à être une réalité dans les Etats africains.
Elle résume des actions à moyen terme autour de cinq principaux axes qui sont, l’écologisation de l’économie grâce à la promotion du concept d’entrepreneuriat vert ; l’entrepreneuriat des jeunes avec un accompagnement spécifique ; l’entrepreneuriat social dont les modèles trouvent davantage leur pertinence en cette période et celle d’après la pandémie du covid-19 ; le renforcement des microcrédits à travers un modèle de crédit universel et d’épargne rurale pour encourager l’entrepreneuriat féminin et les pauvres potentiellement actifs ; puis l’investissement des Etats dans le « New Deal » pour l’Afrique rurale.
« À long terme, nous devons utiliser les ressources disponibles pour diversifier les économies, investir dans la recherche et l’innovation pour nous industrialiser progressivement. Et ce, en réorientant les ressources des secteurs peu productifs, à faible impact positif sur le capital humain et dégradant l’environnement, vers les secteurs plus productifs, porteurs et de manière plus respectueuse de l’environnement.
Au total, la crise actuelle est révélatrice de l’une des contradictions désormais les plus profondes du modèle qui a cours quant à la valeur qu’il accorde à la vie humaine. La réussite des stratégies énergiques tournées vers l’humain et les territoires évoquées dans cet article est tributaire d’une décentralisation accrue qui appelle à la responsabilisation des collectivités locales dans un exercice transparent d’une démocratie locale participative où la gouvernance locale associe le secteur privé et les sociétés civiles. Le nouveau modèle de développement véritablement inclusif, équitable et pérenne à promouvoir est celui le plus susceptible d’allier productivité et bien-être général », a-t-elle conclu.