SALUTATION DANS LES CULTURES BENINOISES
Un important rituel en voie de disparition
Dans toutes les sociétés africaines, la salutation occupe une place de choix dans les relations sociales. Elle est même le rituel qui annonce toute conversation. Son absence ou la baisse de sa ferveur dans un milieu africain s’interprète comme un signe de conflit entre les hommes. Cependant, sous la pression du vent de la modernité qui souffle sur le continent, ce rituel s’occidentalise et tend progressivement à sa disparition malgré ses bienfaits. Le non respect de ce rituel est souvent la pomme de discorde entre les personnes d’un certain âge et les jeunes qui ne voient pas la nécessité de cette exigence de la société.
Edouard ADODE
Ikounando, êkarô, mi fon an, fôô nansuba, voici là quelques termes en Bariba, Nago, Fon et Dendi, qui annoncent la salutation matinale au Bénin. Ces propos sont souvent enchainés par une longue suite de formules pour former la salutation matinale. Elle est une obligation lorsque deux personnes se rencontrent pour la première fois dans la journée. Sans l’accomplissement de ce rituel, difficile d’entamer une conversation sincère avec son vis-à-vis.
Quelques rituels de salutation au Bénin
« Chez moi, tous mes enfants savent que le matin, la première des choses est de saluer papa et maman après s’être débarbouillé la figure. C’est obligatoire », fait savoir Marcellin Yarou père de famille. Il ajoute par la suite que la salutation ne s’arrête pas à la maison, ni au simple ‘’bonjour’’. « Dans la rue, il faut saluer toutes les personnes qu’on connait avec tout le respect qu’il faut selon la qualité et le rang de la personne. C’est un signe de respect ». Ainsi, chez certains peuples du Bénin, pour saluer un beau parent, il est exigé du gendre de se prosterner face contre terre. C’est le cas chez les Yoruba et les Nago. Pour ce qui concerne, les brus, elles doivent s’agenouiller devant leurs beaux parents pour les saluer. Cette salutation peut durer entre deux à trois minutes selon la personne saluée. C’est d’ailleurs l’occasion de s’enquérir des nouvelles de la famille de la personne qui salue ou de lui faire des louanges. Cette même pratique est observée, lorsqu’il s’agit de saluer une autorité traditionnelle. Ainsi, chez les rois fon, l’obligation est faite de se coucher face contre terre devant sa majesté le roi qui prononce des bénédictions sur chaque sujet.
Dans certaines cultures de la partie méridionale du Bénin, il n’est pas permis à la femme de saluer son mari sans avoir fait sa toilette intime le matin. « Lorsque la femme se lève le matin, le reflexe est d’aller dans la salle d’eau pour accomplir sa toilette intime, avant de venir saluer son mari. Sans cette toilette, elle ne doit pas saluer son mari, sinon ça porte malheur à l’homme », a expliqué Assiba Montcho, la soixantaine environ. Ces propos sont confirmés par Ayao Atavi, « si ma femme ne fait pas la toilette et me salue, moi je ne réponds pas. D’ailleurs, si elle-même n’est pas allée dans la salle de bain le matin et que quelqu’un lui adresse la parole, elle ne répond pas ».
Entre personnes de la même génération, on se salue avec une chaleur en se serrant réciproquement les mains. Mais quand, lorsqu’un jeune est en face d’une personne qui le dépasse en âge, la bienséance au Bénin, exige du jeune à ne jamais tendre la main en première. C’est le plus âgé qui doit tendre la main en première position et le jeune peut la recevoir. De même, saluer une personne âgée ou un beau parent avec le chapeau sur la tête, est un manque de respect à ces derniers. Il est également très impoli de saluer de loin une grande personne en faisant signe de main, sauf en cas où il y a une certaine familiarité entre cette personne et le jeune.
En dehors de ces rituels sociétaux, il en existe plusieurs d’autres liés des cercles restreints selon la religion, les clubs d’intérêts ou d’âge etc.
De la nécessité de saluer
« Un jour, j’étais assis devant le portail de la maison, quand un jeune m’a dépassé et est entré dans la maison sans me saluer. Après un moment, il revient me voit pour demander d’après un frère qu’il est allé absenter dans la maison. Je ne lui ai même pas répondu. Tout juste parce qu’il ne m’avait pas salué », raconte Ayao Atavi. Ce témoignage montre combien, les béninois tiennent à la salutation. Au Bénin, le simple fait de ne pas saluer quelqu’un est un signe d’une mauvaise éducation. Ou encore, lorsque la salutation ne remplit pas les conditions qu’il faut, elle peut traduire une froideur dans les relations entre les personnes. Son absence totale entre les gens qui se connaissent bien est d’ailleurs le signe de l’existence d’un conflit entre ces personnes.
Donc, la salutation permet de nouer des relations et de les consolider. Elle ouvre plusieurs portes.
De la désacralisation de la salutation à la perte de cette valeur
La salutation au Bénin a évolué et tend progressivement à la disparition au grand dam de la culture. Aujourd’hui, le ‘’bonjour’’ a pris le pas sur les formules traditionnelles d’antan qui assurent l’élégance et l’éloquence de cet acte identitaire. « Les jeunes ne savent plus saluer. Tu les voies, ils restent gaillardement debout et jette le ‘’bonjour’’ dans le visage, pour ceux-qui ont encore un brin de respect. Sinon tu vois des enfants que tu connaisses bien, qui te dépassent sans t’adresser un seul mot », se désole Simon-Pierre Yérima enseignant à la retraite. Cette situation résulte de la pression de la modernisation sur la couche juvénile qui singe les européens. Cependant, dans les milieux ruraux, la tradition est toujours respectée en ce qui concerne la salutation. Or dans les villes, les personnes du troisième âge qui sont les gardiens de la tradition, sont considérées comme des clochards ou même des sorciers que les jeunes fuient à tout moment. Du coup, les jeunes se voient acculturés.
Les jeunes de leur côté, trouvent barbare cette manière de saluer. « Moi particulièrement, je me sens ennuyeux lorsque les vieux se mettent à citer des paroles quand on les salue. C’est pourquoi j’essaie parfois de les éviter dans la rue », a expliqué Bouraïma Aminou, élève en classe de première à Parakou.
Face à cette situation qui prend de plus en plus d’ampleur, il urge de mettre un accent particulier sur l’éducation morale dans les écoles. Les Ong doivent faire du sujet leur cheval de bataille pour réinstaurer cette valeur chère à nos cultures.