TRANSPORTS TERRESTRES ET SUPERSTITIONS AU BENIN
La place du gris-gris dans la sécurité routière
. Le côté mystérieux des accidents de la route
Le Bénin est un pays de hautes croyances religieuses. Ce qui justifie le fort recours des béninois au surnaturel dans tous les domaines de la vie. Ainsi, même en ce qui concerne la sécurité routière, bon nombre de conducteurs font recours à certaines pratiques superstitieuses qui, selon les croyances, préserveraient des accidents de la route. Ces pratiques sont multiformes et diverses selon la foi de chaque conducteur. Mais au vue du nombre de cas d’accidents qu’on enregistre chaque jour sur les routes au Bénin, on est en droit de se demander si ces gris-gris contre accidents sont plus efficaces que le code de la route. Une question qui suscite moult réponses selon la position des acteurs concernés.
Edouard ADODE
Un citron placé dans le véhicule, du sel, une amulette sous le siège du chauffeur, un chapelet ou un talisman autour des reins du conducteur ou soit des bagues ‘’préparées’’ aux doigts ; ce sont-là autant d’objets qui sont souvent dissimulés dans les véhicules de bon nombre de béninois pour lutter contre d’éventuels accidents de la route. Même si ces pratiques superstitieuses sont plus notées dans le rang des conducteurs de taxi et de gros porteurs, il y a bien de particuliers qui y font également recours pour se sortir d’affaire en cas d’accident.
Ainsi, en dehors de certains reflexes qui semblent naturels, tels que faire le signe de croix, réciter une prière ou placer un citron ou du sel dans le véhicule ; certains font carrément recours à des pratiques qui relèvent du charlatanisme. « Sous mon siège, il y a une petite gourde préparée qui me permet de faire mes voyages sain et sauf depuis neuf ans que je conduits mon propre camion », a confié Mathieu Sètonnin conducteur de gros porteur rencontré à Parakou et en partance sur le Niger. « La bague que j’ai à mon pouce est un contre accident, la plupart de mes collègues chauffeurs ont ça. Tu ne peux pas faire notre métier sans ça, parce que sur la route il y a tout, et ce n’est pas tout que les yeux voient sur la route », a tenté d’expliquer Iliassou Bouraïma chauffeur taxi inter-ville Parakou-Malanville.
Des raisons du recours au gris-gris de protection
Pour la plupart des conducteurs, ils estiment que tous les accidents de la route ne sont pas liés à leur imprudence. Ainsi, pour ces derniers, il y a des forces surnaturelles qui seraient à la base de certains cas d’accidents. Raison pour laquelle, il urge de faire recours au surnaturel pour s’en préserver. Un point de vue que tente de justifier le tradi praticien et prêtre de Fâ Dah Vobla. « Plusieurs accidents sont causés par la sorcellerie et la non connaissance de soi c’est-à-dire le fait d’abandonner les divinités que chacun doit adorer pour se confier à autre chose », a fait remarquer le gardien de la tradition. Une hypothèse qui a du mal à être acceptée par le sociologue Kiansi Yantibossi enseignant à l’Université de Parakou qui reconnaît quand même que cette situation est simplement liée aux croyances locales, il indique donc que « c’est le manque de confiance en soi qui pousse plusieurs conducteurs à ces pratiques superstitieuses ». Hilaire Affoukou, Chef Antenne Nord du Centre National de Sécurité Routière pointe du doigt l’incivisme du béninois qui fait de la route ce qu’il veut au lieu de respecter les règles de la route, un comportement aggravé par l’ignorance. Il donne pour exemple certains pays de l’Europe où du fait que « la conscience de la population est élevée, le taux d’accident est trop faible. Lorsque vous allez au Danemark, je pense que là-bas il n’y a pas de gris-gris, en Suède le pays où l’accidentologie est le moins faible, il n’y a pas de gris-gris là-bas ; il n’y a que le respect des règles de sécurité routière ».
De l’efficacité des gris-gris contre accident
« Un jour, j’étais avec mon patron, j’étais encore à l’apprentissage en ce moment ; et un accident est survenu à hauteur d’Alfa Koara alors que nous étions de retour de Zinder avec le camion vide. Au moment où l’accident s’est produit, je ne sais pas comment mon patron est sorti du véhicule qui a fait tonneau. C’est bien après qu’il m’a fait savoir qu’il avait disparu du véhicule en se retrouvant dans un petit village de Kandi seul dans un champ de mil », raconte Mathieu Sètonnin. Des histoires vraisemblables et à la fois mystérieuses, qui peuplent d’ailleurs l’univers des transports terrestres au Bénin. Un fait vrai selon le prête de Fâ qui ajoute, « avec le talisman le chauffeur ne disparaît pas, il est protégé par une force surnaturelle en cas d’accident. Il peut arriver qu’il s’en sorte avec des séquelles mais sa vie reste préservée quelle que soit la gravité de l’accident ». En dehors de ces moyens, il en existe également un autre qui est fortement conseillé par ce gardien des traditions. « Moi je ne fais que des bagues, si tu as ma bague au doigt ou sur ton porte-clés, lorsqu’un accident doit survenir, la bague commence par se chauffer. Ainsi, il suffit de garer pour un moment jusqu’à ce qu’elle ne se refroidisse, et vous pouvez continuer votre voyage sans souci », rassure Dah Vobla.
Par contre, le professeur de sociologie à l’Université de Parakou et le chef agence nord du Cnsr restent réticents en ce qui concerne l’efficacité à 100% de ces pratiques. « Le gris-gris sauve peut-être quelques rare fois, et les autres fois non », a essayé de nuancer Hilaire Affoukou.
Des revers de cette croyance
« J’ai connu des gens qui ne portent jamais de talisman, mais le jour ils ont l’ingéniosité d’en mettre, quelques jours après ils ont fait d’accidents et sont sortis avec des séquelles à vie », a fait savoir Dah Vobla. Il tire donc la conclusion selon laquelle, « en réalité lorsque quelqu’un fait un gris-gris pour disparaître ou pour sortir indemne quand il aura d’accident, il y a des forces surnaturelles qui provoquent l’accident pour qu’il puisse voir l’efficacité de ce qu’il a fait ». Pour le socio-anthropologue Kiansi Yantibossi, ces gris-gris sont loin d’être des mesures de sécurité routière, mais plutôt de sécurité pour l’individu. Il fait remarquer qu’en cas d’accident, peut-être la présence du chauffeur dans le véhicule pourrait limiter les dégâts ; mais quand il disparaît, il expose davantage la vie des passagers. Il regrette par ailleurs la multiplication des vendeurs d’illusion dans le rang de ceux qui prétendent détenir ces secrets. Dah Vobla revient également sur le gris-gris de disparition et souligne qu’il réduit l’expérience de vie de celui qui l’utilise.
Quant au spécialiste de la sécurité routière dans le nord Bénin, il invite tous les usagers de la route à la prudence et au respect du code de la route, car ce n’est pas parce qu’on compte sur un gris-gris qu’il faut conduire comme on veut sur la route.
Il est donc bien possible de voyager régulièrement sain et sauf par voie terrestre sans forcément placer sa confiance dans un gris-gris. Tout est une question de confiance en soi et d’observance des règles de la route en toute prudence.