CEREMONIES TRADITIONNELLES DE REMISE DE DIPLOME
Une pratique têtue qui défie les dispositions légales
Le secteur artisanal a longtemps été laissé pour compte au Bénin. Ce qui rendait la fin d’apprentissage des métiers artisanaux difficile pour les apprentis puisque ces derniers étaient exposés aux caprices de certains maîtres-artisans. Depuis quelques années, l’Etat a voulu prendre ses responsabilités en réorganisant ce secteur. Ainsi plusieurs reformes ont été entreprises dans ce secteur pour amoindrir les peines apprentis artisans, notamment par le biais de l’organisation des examens de Certificat de Qualification aux Métiers (Cqm). L’organisation de ces examens devrait permettre d’abolir complètement les cérémonies traditionnelles de remise de diplôme. Cependant, cette pratique continue d’être observée sur le terrain, malgré la mise en œuvre de cette reforme. Cette anomalie semble avoir ses raisons d’être dans plusieurs facteurs liés à la société béninoise.
Barnabas OROU KOUMAN
Le besoin de formation pour un métier s’est toujours fait sentir partout dans le monde. Pour ce faire, en dehors des formations qui se donnent dans les lycées techniques, plusieurs jeunes surtout ceux qui ont peu de chance d’évoluer dans l’enseignement général, se ruent vers les ateliers pour une formation pratique. C’est le secteur de l’artisanat qui absorbe plus de jeunes qui désirent apprendre un métier d’avenir au Bénin.
L’apprentissage d’un métier par le passé
Dans un temps révolu, l’apprentissage d’un métier impliquait uniquement les parents de l’apprenti et le patron ou la patronne. Ainsi, il revenait à chaque maître-artisan de définir les clauses du contrat, notamment en ce qui concerne le montant du coût de la formation et la durée de la formation. Après cette durée qui peut varier entre 3 à 10 ans selon le métier et l’âge de l’apprenti, le patron donne un congé de libération à son apprenti en lui remettant une liste de dot à payer avant que ce dernier ne soit fixé sur la date de la remise du diplôme. Ce diplôme est uniquement signé par le patron à la rigueur cosigné par une autorité locale. Le contenu de la dot est souvent exorbitant. Ce qui oblige les apprentis en fin de formation à se livrer à certains jobs ne relevant même pas du métier appris et pendant des mois voire des années avant de réunir les moyens. Pour les moins chanceux, ils finissent par abandonner ce projet suite peut-être à la survenance d’une grossesse pour les filles ou l’adoption du job pour métier chez les hommes. Cette situation a été l’un des facteurs qui a favorisé l’affluence observée dans le secteur de taxi moto communément appelé zémidjan. Pour ceux qui arrivent à satisfaire les exigences de la dot, le plus dur est l’organisation de la cérémonie. Elle demande encore plus de moyens financiers que la dot, puisqu’elle est d’emblée une fête.
Comment en est-on arrivé au Cqm?
Face à ces difficultés qui ne sont pas de nature à faciliter l’apprentissage, les maître-artisans à certains moments, se sont vus dans l’obligation de se mettre en groupe et en association pour mieux contrôler le secteur et également empêcher l’infiltration des brebis galeuses. Ce qui a débouché sur l’organisation des Examens de Fin d’Apprentissage Traditionnel (Efat) qui donnaient droit au Diplôme de Fin d’Apprentissage (Dfa) dans certains départements. Mais très tôt l’Etat central avec l’appui de certains partenaires techniques et financiers va s’y impliquer pour une meilleure organisation et donner plus de crédibilité aux parchemins que vont désormais obtenir les apprentis formés dans les différents ateliers. Ainsi, sont nés les examens organisés par le ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle en collaboration avec les associations d’artisans. Ces examens donnent droit au Certificat de Qualification aux Métiers (Cqm). Selon les nouvelles dispositions qui régissent l’organisation de ces examens, la remise de diplôme à la fin de la formation permet de soulager les peines des apprentis et de leurs parents.
Plus de cérémonies folkloriques de libération d’apprentis
En se référant au document-cadre d’opérationnalisation du dispositif du Cqm qui dispose, « au niveau de chaque commune, les candidats admis à l’examen du Cqm, reçoivent leurs diplômes de fin de formation, signées par le directeur départemental en charge de la formation professionnelle à l’occasion d’une cérémonie officielle organisée par le collectif des associations et groupements d’artisans, la mairie et la direction départementale chargée de la formation professionnelle, dans un délai maximum de 60 jours après la proclamation des résultats. Cette cérémonie de remise de diplôme remplace la cérémonie de libération et permet une reconnaissance publique du savoir-faire des lauréats. En dehors de celle-ci aucun(e) patron(ne) n’a le droit d’organiser une quelconque cérémonie de ce genre». Cette disposition est bien connue des maîtres-artisans comme le confirme Razack Yarou N’gobi président des associations et groupement d’artisans de Parakou, « avec 12 500fcfa après la formation de votre enfant, il a déjà son diplôme en mains. Les parents n’ont plus besoin d’aller dépenser des centaines de mille pour l’obtention du diplôme de leur enfant ». Voilà qui est bien dit. C’est vraiment un système qui réduit les peines et les dépenses. Cependant, sur le terrain après cette cérémonie, le constat est tout autre.
La pratique têtue résiste aux dispositions légales
Cette disposition semble ne pas recevoir l’assentiment des acteurs traditionnels de l’apprentissage des métiers artisanaux. Les parents et surtout les patrons et patronnes ne sont pas encore prêts à perdre les avantages pécuniaires et les honneurs qu’ils en tirent. Ainsi, il est toujours organisé des cérémonies parallèles de remise de diplôme après celles légales. Chaque candidat admis au Cqm organise cette fête. « Après cette remise officielle, certains patrons et patronnes en collaboration avec les parents décident que leur enfant soit béni par le patron. Ça se fait en commun accord avec les parents, et nous- mêmes on nous notifie », reconnait le président Yarou N’gobi. Plus loin, il ajoute que, « parfois nous-mêmes nous sommes invités à ces cérémonies. Ça se fait, il faut avoir le courage de le dire ». Pascaline Toumoudagou une ancienne apprentie couturière raconte son expérience personnelle, « pour la fête j’ai prévu deux cabris et puis des poulets, des condiments, du riz des casiers de boisson et j’ai fait une enveloppe de 20 000f à ma patronne». Tout comme elle, nombreux sont les apprentis qui continuent de faire ces genres de dépenses sans même songer à comment trouver les moyens pour ouvrir leurs propres ateliers. Au cours de cette cérémonie on exige assez de choses des parents avant que le patron ne prononce sa bénédiction. Mais qu’est-ce qui peut justifier la persistance de cette habitude?
Les causes d’une pratique illégale
Exposant les arguments de ses collègues, Razack Yarou N’gobi confie, « pendant trois à quatre ans, j’ai formé un enfant et maintenant il prend son attestation sans ma bénédiction, ce n’est pas normal». Ensuite, affirme-t-il, « le nom du patron ne figure plus sur l’attestation de l’apprenti, ceci frustre des patrons, donc ils ne sont pas contents de ça. Mais ils font avec.Vous voyez que si on s’oppose encore à ces séances de bénédictions, ça va créer de problèmes. Encore que ce sont souvent certains parents ou apprentis même qui exigent cela pour prouver aux voisins du quartier l’obtention de ce diplôme ».
Il est clair donc que les patrons sont loin d’accepter libérer les apprentis sans cette fête. Certains apprentis et leurs parents cautionnent la chose pour satisfaire leur orgueil. Issiaka Aminou un parent se prononce, « je préfère qu’il ait une fête à la fin de la l’apprentissage de mon enfant parce qu’apprendre un métier n’est pas facile. Donc, si on est à la fin de cet apprentissage là, il faut au moins une réjouissance». Cette même idée est partagée par les apprentis en cours de formation, comme le souhaite Aïcha Aboudoulaye, « si mes parents acceptent, je vais organiser une fête pour qu’ils soient contents de moi, c’est pour me réjouir moi-même». A côté de ceux-ci, on remarque également que certains patrons obligent les apprentis à organiser cette cérémonie contre leur gré. Donc avec un cœur serré, ces derniers sont obligés de s’exécuter puisque ces patrons indélicats usent de ruse pour confisquer les diplômes des apprentis. « Après la cérémonie à la mairie, ma patronne m’a arraché le diplôme. Elle a exigé qu’on organise une fête après la cérémonie officielle pour qu’elle me remette ça devant tout le monde pour me bénir. Et elle m’a pris 20 0000f le jour-là », se lamente Chérifatou Fousséni apprentie libérée.
Face à ces genres de lamentations qui sont légions que faire?
Pour y remédier
Déjà certaines actions sont entrain d’être menées, on peut citer la note de service prise par l’ancien ministre de l’enseignement technique et de la formation professionnelle Lucien Kokou. Il s’agit de la note de service n° 2206/MESTFP/DC/SGM/DETFP/SA du 16 octobre 2017. A travers cette note le ministre invitait les autorités locales à « contribuer à empêcher les cérémonies, par ailleurs ruineuses, de fin d’apprentissage ». Même si aux yeux de certains patrons, cela semble difficile, force doit quand même rester à la loi. Ainsi, la police républicaine doit veiller au respect strict de la loi dans ce domaine. Une prise de conscience de la part des parents permettra sûrement d’éradiquer ce fléau qui perdure. Ils pourront investir ces fonds pour accompagner les apprentis à vite s’installer à leur propre compte.