DÉVELOPPEMENT DES MALADIES MENTALES : Les africains toujours entre tabou et déni

11 mois ago | Written by
9 631 vues
0 0

En Afrique, ils sont nombreux à souffrir en silence d’une situation malheureuse, d’un événement au point d’en faire une dépression. Pourtant, ils n’osent pas en parler publiquement parce que tout ce qui a rapport à la santé mentale est considéré comme des affabulations. Pourtant les maladies mentales sont réelles et font beaucoup de victimes en silence.

Samira ZAKARI

L’Afrique fait partie des continents où les populations sont plus touchées par des maladies mentales. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms), 10 % de la population africaine serait aujourd’hui affectée par un trouble mental. Pourtant, ces pathologies dans leur ensemble, sont toujours ignorées par les populations malgré les ravages. « Je comprends qu’un homme se pende parce que sa femme l’a quitté, qu’il est sans emploi, que la voisine l’a ensorcelé ou qu’il a été surpris en train d’embrasser sa belle-mère. Mais se suicider parce qu’on souffre de dépression n’est tout simplement pas africain », écrivait en 2014, le satiriste kényan Ted Malanda. Des écrits qui donnent un sens à la perception des maladies mentales en Afrique.

Maladie mentale, que comprendre ?

Selon le psychologue Aimé Gbaguidi, une maladie mentale est toute affection qui n’est pas nécessairement liée à une organicité mais qui affecte la pensée, l’humeur. Il précise que les maladies mentales altèrent non seulement le fonctionnement du cerveau mais aussi les systèmes périphériques (comme en témoignent les maladies somatiques qui leur sont souvent associées). Elles perturbent la capacité des personnes qui en sont atteintes à s’adapter à leur environnement et s’accompagnent souvent d’une grande souffrance psychique. A l’en croire, ces maladies se caractérisent notamment par des troubles comportementaux souvent associés à des troubles cognitifs (touchant la mémoire, la concentration, etc.), qui handicapent la personne atteinte et altèrent son fonctionnement social, familial et professionnel. Pour l’Oms, il existe différents types de troubles mentaux notamment la dépression, les troubles anxieux, bipolaire, post-traumatique, de l’alimentation, la schizophrénie et bien d’autres.

Des causes

Les maladies mentales peuvent être causées par plusieurs facteurs. « Une perturbation pendant une étape quelconque du développement psychoaffectif de l’enfant, le stress continu ou un évènement marquant (négatif surtout), l’hérédité (pas encore d’études exhaustive pour le prouver) mais il n’est pas rare de rencontrer des familles qui ont des prédispositions à la maladie mentale », a expliqué le psychologue Gbaguidi. De façon générale, une simple contrariété peut occasionner une maladie mentale.

Anicet A. ne croyait pas en l’existence des maladies mentales jusqu’à ce qu’elle voit son frère sombré après la mort de sa femme et ses deux enfants. « Mon frère a perdu son épouse et ses deux enfants dans un accident de circulation. Et depuis cet événement malheureux, on l’a carrément perdu, il n’était plus la personne plein de joie qu’on connaissait. Il a abandonné son entreprise qui était pourtant sa priorité après sa famille. Mon frère était dans le déni de la perte de sa famille et on le voyait souvent parler seul dans sa maison. On l’amenait chez le pasteur de notre église pour les prières de délivrance mais rien. C’est un ami de la famille qui nous a alertés sur la possibilité que mon frère souffrirait d’une maladie mentale. Pour nous, c’était des affabulations », a-t-elle témoigné.

Tout comme Anicet, nombre sont les africains qui voient en une maladie mentale, une attaque spirituelle, un envoûtement. « Maladie mentale ? C’est chez les blancs ça, on ne connait pas ça ici. On parle plutôt de sorcellerie, d’envoûtement. C’est la méchanceté qui peut amener un homme à nuire ainsi à son prochain », s’est exclamé Marguerite Afouda, femme au foyer.

Maladie mentale, un tueur silencieux ?

À en croire le psychologue Aimé Gbaguidi, les conséquences des maladies mentales doivent être recherchées dans les différents types d’affections mentales. Ainsi l’on a, « les affections moins graves où le patient est conscient. Dans ce cas, son système de réalité n’est pas affecté (on les désigne sous le vocable de névrose). Les affections plus graves qui affectent le système de réalité de l’individu occasionnant les psychoses. Dans ce cas, le patient représente un danger pour lui-même et son environnement. Ceci oblige le plus souvent à prendre à son encontre des mesures d’internement », a expliqué le psychologue.

De même, les maladies mentales peuvent conduire à une mortalité prématurée des personnes atteintes de maladies mentales, liée aux maladies somatiques généralement non dépistées et non traitées (pathologies cardiovasculaires, diabète, etc.) ainsi qu’aux suicides.

Quid de la prise en charge ?

En Afrique, il est difficile de parler ouvertement des maladies mentales. Entre le déni de l’existence de ces affections et le tabou autour de la question, les victimes sont pour la plupart livrées à elles-mêmes. Dans la plupart des sociétés africaines, un individu souffrant de troubles mentales est caché du reste du monde de peur de faire honte à la famille aux yeux de tous. Dans l’une de ses productions sur la question, le journaliste de Rfi Alain Foka a fait savoir que quand la maladie n’est pas à un stade où le malade se retrouve à errer dans les rues, il est enchaîné derrière la maison, caché dans une chambre noire ou encore confié à un religieux. C’est ce que confirme d’ailleurs Yves S. qui confie, « c’est triste, dans mon quartier il y a un jeune de 18 ans qui a, à un moment donné, commencé par parler seul, il réagissait comme quelqu’un qui n’allait pas bien dans la tête. Il y a des gens qui disent que c’est la drogue qui l’a rendu comme ça. Depuis ce temps, sa famille le cachait on ne le voyait même pas dans la cour de la maison. Des fois, il arrive à traverser le seuil de la maison mais ses frères courraient pour le ramener. Il est resté pendant des mois comme ça mais maintenant je ne sais plus où il est ».

De même, les gouvernants qui devaient accorder une attention particulière aux malades mentaux peinent à y concentrer véritablement leurs énergies.

Selon l’Oms, les Etats africains allouent en moyenne 0,46 dollar par habitant à la prise en charge des maladies mentales. Un sous financement dû au tabou lié à la question des maladies mentales.

Pour les quelques-unes de familles qui admettent les troubles mentaux de leur parent, ils se trouvent coincer par l’absence de centre adéquat pour sa prise en charge. Et c’est pour juguler ce manque de centre adéquat et en finir avec les mauvais traitements qu’il a été créé au Bénin en 1990, l’Association Saint-Camille-de-Lellis. Une œuvre du béninois Grégoire Ahongbonon. Avec ces différents centres au Bénin, en Côte-d’Ivoire et au Togo, l’association offre des soins depuis des décennies aux milliers de personnes souffrant de maladies mentales.

Cependant, il faut reconnaître qu’en 2019, le gouvernement béninois a lancé l’opération de récupération des malades mentaux errant dans les grandes villes en vue de leur prise en charge. Mais après, aucune suite n’est donnée à ce projet notamment en ce qui concerne l’état de santé de ces malades et leur retour en famille.

Les maladies mentales peuvent être bien évitées par la prévention. Aimé Gbaguidi conseille le recours à un psychologue pour un suivi quand l’on se sent mal dans son être. Aussi, « il faut œuvrer pour un environnement saint et surtout moins stressant. Mieux, il faut de temps en temps un peu de loisir pour évacuer les stress (surtout du travail) », a-t-il conseillé.

Article Categories:
A la une · Dossier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Daabaaru