À LA BARRE : Une personne prise en flagrant délit bénéficie-t-elle toujours de la présomption d’innocence ?

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Si vous surprenez un individu en train de fouiller dans votre sac et vous alertez le voisinage, ce dernier est-il un voleur ou un présumé voleur ? Le juriste Boni Zimé et responsable du cabinet “Le Mentor” répond à cette question dans ce nouveau numéro de la rubrique “A la barre” du quotidien Daabaaru. 

Daniel KOUAGOU

Daabaaru : Qu’est-ce qu’on entend par flagrant délit ? 

Boni Zimé : Le flagrant délit désigne en procédure pénale un crime ou un délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. L’infraction relève de modalités d’enquête particulières (enquête de flagrance) et peut, s’il s’agit d’un délit, donner lieu à comparution immédiate devant une juridiction compétente.

Il existe combien de sortes d’infractions flagrantes ?

Le code de procédure pénale distingue trois sortes d’infractions flagrantes, dont l’infraction flagrante proprement dite, l’infraction réputée flagrante et l’infraction assimilée flagrante. En effet, l’infraction proprement dite est celle qui se commet actuellement et dont l’auteur est surpris sur les faits et l’infraction réputée flagrante correspond à l’hypothèse où dans un temps très voisin de l’infraction, l’individu est poursuivi par la clameur publique, soit trouvé en possession d’objets, ou présente des traces, indices laissant penser qu’il a pu participer à la commission de l’infraction. Par contre l’infraction assimilée flagrante est celle qui est commise dans une maison dont le chef requiert l’officier de police judiciaire de la constater.

Comment peut-on définir la présomption d’innocence ? 

“La présomption d’innocence est un mensonge de la loi”. La présomption d’innocence, est une notion clé du droit pénal ayant une consécration constitutionnelle, désigne « le principe selon lequel, en matière pénale, toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente,… ». C’est-à-dire après avoir été jugée et déclarée coupable conformément à la loi. Par exemple, en République Démocratique du Congo (Rdc), il est ainsi proclamé avec force par la constitution du février 2006 telle que modifiée à ce jour en son article 17 alinéa 9 en ces termes « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif ».

Présomption d’innocence : principe fondamentale

Le respect de la présomption d’innocence, liberté fondamentale de tout individu, est largement assuré dans les systèmes judiciaires (béninois, camerounais, français, ivoirien, tchadien…). La présomption d’innocence est garantie par les plus grands textes dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (Ddhc) de 1978 (article 9) ; la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Dudh) de 1948 (article 11) et la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Cedh) de 1950 (article 6-2).

En droit interne français, la loi du 15 juin 2000 a inscrit dans l’article préliminaire au Code de Procédure Pénal que « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ». La présomption d’innocence doit être respectée par les autorités judiciaires, mais également par les autorités publiques et la presse. C’est en effet une limite à la liberté d’expression, protégée notamment par les délits de diffamation, de dénonciation calomnieuse ; l’interdiction de diffuser l’image d’un individu menotté alors qu’il n’a pas fait l’objet d’une condamnation et l’interdiction de réaliser un sondage d’opinion portant sur la culpabilité d’une personne ou sur la peine susceptible d’être prononcée à son encontre.

Principe appliqué à tous les niveaux de la procédure 

La présomption d’innocence est appliquée pendant le procès, mais également avant. Déjà lors de l’instruction, le juge a pour mission d’instruire à charge et à décharge. Il ne s’agit pas de constater la culpabilité d’un individu, mais de confronter des preuves qui tendent à établir son innocence ou sa culpabilité. Pour cela, le juge d’instruction peut faire toutes les investigations nécessaires. La présomption d’innocence doit être respectée en cas de mise en examen, de contrôle judiciaire ou de détention provisoire. Lors du procès, il est rappelé aux jurés que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter.

Par ailleurs, la présomption d’innocence a un impact sur la charge de la preuve. C’est la culpabilité qui doit être prouvée par le ministère public et non son innocence par l’accusé. Et si la preuve est faussée ou obtenue de manière déloyale, la présomption d’innocence prévaut. L’accusé a tous les moyens de se défendre notamment le contre-interrogatoire des témoins, et ne peut être contraint à s’accuser soi-même, c’est la signification du « droit de garder le silence ». Le juge ne déclarera un individu coupable que lorsqu’il n’existera plus de doute raisonnable sur sa culpabilité : le doute profite à l’accusé. Si une personne jugée coupable fait appel de la décision devant une autre juridiction, elle sera présumée innocente au cours de la deuxième audience.

Pour quelle raison le principe de la présomption d’innocence a-t-il été créé ou mis en place ?

L’idée est qu’il est moins choquant de voir acquitté un coupable que condamné un innocent.

De ce fait, une personne prise en pleine commission d’une infraction, peut-elle toujours bénéficier de la présomption d’innocence ?

Les termes de la loi en matière pénale étant d’interprétation stricte (obligation de suivre la lettre de la loi) et imposant le droit pour toute personne à la présomption d’innocence, et ce, quelles que soient les circonstances, toutes les autorités y compris le juge ont l’obligation de juger tout accusé conformément à la loi afin d’établir sa culpabilité. Aucune autre voie n’est admise. Donc, en résumé, même le flagrant délit ne saurait faire échec à ce droit fondamental en matière pénale. On ne peut dire qu’une personne est coupable d’un fait que lorsqu’un juge l’aura jugé coupable dans le cadre d’un procès. Par contre, il est important de savoir qu’en cas de flagrant délit, les procédures d’enquête sont différentes afin de faciliter la recherche des preuves, la recherche des coupables et des témoins (enquête de flagrance).

Que risque-t-on en cas d’atteinte à la présomption d’innocence ? 

L’atteinte à la présomption d’innocence est sanctionnée par la loi, comme toute atteinte aux droits de la défense. En droit français, l’article 9-1 du Code civil décrit la présomption d’innocence et prévoit la réparation de ses atteintes : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, sans préjudice d’une action en réparation des dommages subis (…) ».

Ainsi, le non-respect de la présomption d’innocence peut donner lieu à une réparation civile des préjudices subis (au moyen de dommages et intérêts); l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué ou toute autre mesure ordonnée par le juge. Par ailleurs, le juge d’instruction peut ordonner la publication de sa décision de non-lieu conformément aux dispositions de l’article 177-1 du code de procédure pénale français. En France, la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1981 donne la possibilité pour une personne d’insérer un droit de réponse dans un journal l’ayant présenté comme coupable contrairement à la pratique de chez nous où un individu est voleur du moment de son arrestation jusqu’à la prison avant jugement d’ailleurs.

Existe-t-il des exceptions au principe de la présomption d’innocence ? 

La réponse est oui, la présomption d’innocence connaît également des exceptions. La présomption d’innocence connaît cependant quelques exceptions, dans la caractérisation de certaines infractions. Ces exceptions sont légales, la charge de la preuve de la non-culpabilité repose alors sur le prévenu.

Exemple

Une personne qui ne peut justifier de ressources correspondant à son train de vie et qui vit avec une personne se livrant habituellement à la prostitution est considérée comme proxénète (art. 225-6 du Code pénal français). De même, la carte de séjour temporaire peut être retirée à un étranger passible de certaines poursuites pénales, donc sans qu’aucune condamnation ne soit prise à son égard, et sans contrôle du juge. En matière douanière, les objets et marchandises prohibés ou fortement taxés sont réputés introduits en fraude s’ils sont découverts dans le rayon douanier sans titre de circulation valable.

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